Le credo partie 3

religious stained glass

« Je crois en l’Esprit Saint. »

On parlait plus volontiers autrefois du « Saint-Esprit », on semble préférer aujourd’hui l’expression « Esprit Saint ». Pourquoi ? Sans doute pour ne pas en faire un saint de plus, entre « Saint-Antoine » et « Sainte-Rita »… L’Esprit Saint, en effet, domine de très haut toutes les créatures, comme nous le verrons dans les prochains articles.
Il n’est pas non plus un accessoire au milieu de tout ce qui semble avoir été accumulé à la fin du texte du Credo : les prophètes, l’Eglise, le baptême, la résurrection, la vie du monde futur, etc. Notre Profession de foi reste bien trinitaire, dans ce qu’elle confesse du Père, puis du Fils, enfin du Saint-Esprit dont toute la fin du Credo explicite l’action : si elle évoque les prophètes, c’est parce qu’ils sont inspirés par l’Esprit Saint, l’Eglise, parce que l’Esprit Saint est comme son ciment, les sacrements, parce que c’est l’Esprit Saint qui en est l’agent, la résurrection, parce que c’est encore lui qui est le souffle qui nous redonnera vie, etc.
Le mot « Esprit » lui-même est encore une source d’ambiguïté, heureusement encore que nous ne le traitons pas de « fantôme », comme les Anglais pour lesquels il est « the Holy Ghost » ! Il ne s’agit pas bien sûr, d’un esprit qui hanterait le monde, pas plus de l’esprit de Jésus-Christ, ni de celui de l’évangile, comme on parle de l’esprit de la Constitution. Certains ont voulu en faire la relation entre le Père et le Fils Eternel, mais une relation n’a jamais été une personne ! Dire qu’il est l’Amour au sein de la Trinité ne convient pas d’avantage, car on peut en dire autant de chacune des Personnes divines…
Ainsi, chaque fois qu’on a voulu le définir, il s’est comme échappé à la compréhension de ceux qui voulaient le saisir, et c’est bien en cela qu’il est « Esprit ».
La meilleure image reste encore celle que nous offre le Christ quand il explique au vieux Nicodème le mystère de la Résurrection : « Le vent souffle où il veut : tu entends le bruit qu’il fait, mais tu ne sais pas d’où il vient ni où il va. Il en est ainsi de tout homme qui est né du souffle de l’Esprit. » (Jn III 8).
La traduction du mot « esprit » en hébreu (rouah) , en grec (πνευμα), en latin (spiritus) désigne aussi le souffle, le vent. Nous verrons comment cette réalité traverse toute l’Ecriture et nous fait percevoir quelque chose de l’identité de l’Esprit Saint à travers ce que nous voyons de son activité … tout comme le vent.

Le souffle (ou le vent), nous l’avons vu, semble être une image adéquate pour évoquer ce qu’est l’Esprit Saint.
Son usage est, en tout cas, consacré par son emploi régulier au fil des pages de la Sainte Ecriture. Il est déjà amusant de voir que ce mot, masculin en latin ou en français, est féminin en hébreu et neutre en grec ! Bien avant qu’il ne nous soit révélé par Jésus-Christ (les Juifs ne le connaissent pas comme personne divine), il apparaît dès le deuxième verset de la Bible où « l’Esprit planait sur les eaux » de la Création, traduit par l’antique bible grecque par « souffle de Dieu ». Un peu plus tard, c’est en insufflant son souffle de vie dans ses narines, que Dieu crée l’être humain. De la même façon, le Christ ressuscité recrée la nouvelle humanité en soufflant sur ses apôtres au soir de Pâques, lorsqu’il leur dit : « recevez l’Esprit Saint ».

Le Seigneur Jésus emploie une autre image en nous promettant le « Paraclet » (Jn XIV 16, 26, XV 26, XVII 7), mot grec qui signifie « celui qui console », ou « celui qui intercède », l’« avocat ». On pourrait même traduire par le terme juridique d’ « avoué ». L’avoué avait pour office (la profession a récemment disparu …) de représenter les justiciables, d’être à leurs côtés, comme l’Esprit Saint désormais envoyé à l’humanité pour représenter sa dignité restaurée et maintenir ses droits. Ecoutons Jésus nous révéler l’existence de cet Esprit distinct de lui et du Père mais qui partage leur éternité et leur puissance :
“Et moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre Paraclet afin qu’il demeure éternellement avec vous”. (Jn XIV 16), “l’Esprit de vérité, le monde ne le voit pas et ne le connaît pas, il sera en vous” (Jn XIV 17). « L’Esprit Saint, que le Père enverra en mon nom, vous rappellera tout ce que je vous ai dit, il me glorifiera” (Jn XIV 26, XVI 14).

L’Esprit Saint est donc celui qui habitera désormais et pour toujours l’humanité rachetée par le Christ et actualisera dans l’histoire de l’Eglise l’enseignement du Seigneur, il est encore celui qui animera la louange et la prière qui montent vers Jésus-Christ, qui lui semble inséparable. Contrairement à la tentative de mystiques mal inspirés – au cours du Moyen-Age notamment – à l’ « âge du Père » n’a pas succédé celui du Fils puis celui de l’Esprit Saint : c’est la Trinité tout entière qui est à l’œuvre quand l’Esprit nous ouvre au Verbe éternel, selon la volonté du Père.

« Je crois en l’Esprit Saint qui est Seigneur et qui donne la vie. »

Nous l’avons déjà vu pour Jésus, le Verbe de Dieu incarné auquel le Credo donne le même titre de « Seigneur » : cette appellation qui se traduit en grec par « Kyrios » (celui de notre « Kyrie eleison ») désigne Dieu, c’est la traduction du nom imprononçable YHWH sous lequel Dieu s’est révélé à Moïse au buisson ardent.
L’Esprit Saint est Dieu, au même titre que le Père et que le Fils, comme Jésus le révèle en proclamant son éternité (Jn XIV 16) et son lien tout particulier avec le Père et le Fils (Jn XIV 26, XVI 14). Non pas un « troisième Dieu » (!), pas d’avantage une simple « facette » du Dieu unique, mais bien le seul vrai Dieu dont il nous est révélé qu’il est Trinité : trois Personnes distinctes dans l’unité de leur nature, ce que nous ne pouvions découvrir par nous-mêmes et que nous ne pouvons pas faire rentrer dans les catégories qui nous sont actuellement accessibles, il faut bien l’avouer.
Quand le Credo ajoute que l’Esprit Saint « donne la vie » il ne nous permet pas de le distinguer non plus du Père et du Fils car la Trinité tout entière est source de vie. Néanmoins les nombreux symboles par lesquels il est exprimé dans l’Ecriture l’associent explicitement au don de la vie divine :
l’eau (eaux de la Création, eau qui coule du cœur du Christ crucifié, eau du baptême), le feu (feu de la parole des prophètes, feu qui purifie les sacrifices, feu qui ne consume pas le buisson ardent et consacre la virginité de Marie, langues de feu de la Pentecôte).
Ainsi, plus que le substantif « vie », c’est le verbe « donne » qui semble mieux exprimer l’Esprit Saint, appelé aussi le « don de Dieu » : c’est la formule liturgique employée par l’évêque au jour de notre confirmation : « Reçois l’Esprit Saint, le don de Dieu ». « Dieu est amour » nous dit saint Jean (1Jn IV 8,16) et cet amour « Dieu l’a répandu dans nos cœurs par l’Esprit qui nous fut donné. » (Rom V 5).
L’Esprit est « don de Dieu » parce qu’il vient de Dieu mais il l’est aussi parce qu’il est Dieu qui se donne.

« Il procède du Père et du Fils. »

Nous sommes devant l’une des affirmations les plus controversées du Credo même si nous la prononçons chaque dimanche sans sourciller car elle ne nous dit pas grand chose, à nous aujourd’hui, et pourtant…

Elle s’enracine dans une parole du Christ : « Lorsque viendra le Paraclet que je vous enverrai d’auprès du Père, l’Esprit de vérité qui procède du Père, il rendra lui-même témoignage de moi » (Jn XV 26). Le Credo du concile de Nicée (325) confirmé par celui de Constantinople (381) pourra ainsi affirmer : « Nous croyons en l’Esprit-Saint, qui est Seigneur et qui donne la vie, qui procède du Père, qui a parlé par les Prophètes, qui avec le Père et le Fils est adoré et glorifié »

D’où vient donc que les Occidentaux disent aujourd’hui : « qui procède du Père et du Fils », alors que les Orientaux s’en tiennent à la formule originaire, sans la mention du Fils (ce qui constitue entre orthodoxes et catholiques une pomme de discorde non négligeable, surtout en Orient) ?
C’est l’Église espagnole qui introduisit la première cette modification, après le concile de Tolède de 589 qui visait à réagir contre l’arianisme qui la menaçait. Cette mention du « Filioque » (traduction latine de l’ajout « et du Fils ») passa ensuite en Gaule. En atteignant Jérusalem (807) l’innovation va mettre en branle les oppositions historiques entre le patriarche de Constantinople, qui préfèrerait dire que le Saint Esprit « procède du Père par le Fils », l’empereur d’Occident (Charlemagne) qui soutient la modification et le pape, qui s’en tient à l’usage traditionnel.
Et c’est finalement Charlemagne qui l’imposa au concile d’Aix-la-Chapelle en 809, au moins pour ceux qui lui étaient soumis : Rome ne l’entérinera qu’au XIème siècle, après mûre réflexion. Mais jusqu’à ces dernières années le « Filioque » représentera pour les orthodoxes un argument pour dénoncer une modification unilatérale de la foi commune et originelle de l’Eglise et donc l’hétérodoxie (foi erronée) des catholiques, alors que les Occidentaux moins frottés de théologie et peut-être moins subtils n’y voyaient pas là de quoi alimenter une querelle…

Nous non plus et nous ne voyons pas bien le sens ni l’intérêt de toute cette histoire. Alors peut-être faut-il nous poser la question de la signification profonde de ces formules et aller un peu plus loin, ce que nous ferons au chapitre suivant !

Dans le cadre de la recherche de l’unité des chrétiens, parut en 1995 un document romain intitulé « Les traditions grecque et latine concernant la procession du Saint-Esprit » où l’Eglise catholique reconnaît le texte grec originel du concile de Constantinople comme la norme irréformable de la foi (d’ailleurs, en grec, on a toujours utilisé la formule traditionnelle à Rome) : dans la Trinité le Père est l’unique source.
Mais si la tradition orientale exprime d’abord le caractère d’origine première du Père par rapport à l’Esprit, la tradition occidentale quant à elle exprime d’abord la communion consubstantielle entre le Père et le Fils. « Cette légitime complémentarité, si elle n’est pas durcie, n’affecte pas l’identité de la foi dans la réalité du même mystère confessé » (Catéchisme de l’Église, n. 248).
Quel est ce caractère trinitaire que la personne du Saint-Esprit apporte à la relation même entre le Père et le Fils ? Le Père est l’amour dans sa source (2 Co 13, 13 ; 1 Jn 4, 8. 16), le Fils est « le Fils de son amour » (Col 1, 14). « L’Esprit-Saint qui a répandu dans nos cœurs l’amour de Dieu » (Rm 5, 5) est le Don éternel du Père à son « Fils bien-aimé » (Mc 1, 9 ; 9, 7 ; Lc 20, 13 ; Ép 1, 6). L’amour divin qui a son origine dans le Père repose dans « le Fils de son amour » pour exister par celui-ci dans la personne de l’Esprit. Cela rend compte du fait que l’Esprit-Saint oriente toute la vie de Jésus vers le Père dans l’accomplissement de sa volonté. Le Père envoie son Fils (Ga 4, 4) quand Marie le conçoit par l’opération du Saint-Esprit (Lc 1, 35). Celui-ci manifeste Jésus comme Fils du Père au baptême en reposant sur lui (Lc 3, 21-22 ; Jn 1, 33). Il pousse Jésus au désert (Mc 1, 12). Jésus en revient « rempli du Saint-Esprit » (Lc 4, 1), puis il commence son ministère « avec la puissance de l’Esprit » (Lc 4, 14). Il tressaille de joie dans l’Esprit en bénissant le Père pour son dessein bienveillant (Lc 10, 21). Il choisit ses apôtres « sous l’action de l’Esprit-Saint » (Ac 1, 2). Il expulse les démons par l’Esprit de Dieu (Mt 12, 28). Il s’offre lui-même au Père « par un Esprit éternel » (He 9, 14). Sur la Croix il « remet son Esprit » entre les mains du Père (Lc 23, 46). C’est « en lui » qu’il descend aux Enfers (1 P 3, 19) et c’est par lui qu’il est ressuscité (Rm 8, 11) et «établi dans sa puissance de Fils de Dieu » (Rm 1, 4). L’Esprit, tout en découlant du Fils dans sa mission, est celui qui introduit les hommes dans la relation filiale du Christ à son Père, car cette relation ne trouve son caractère trinitaire qu’en lui : « Dieu a envoyé dans nos cœurs l’Esprit de son Fils qui crie : Abba, Père ! » (Ga 4, 6). Dans le mystère du salut et dans la vie de l’Église, l’Esprit fait donc beaucoup plus que prolonger l’œuvre du Fils. En effet, tout ce que le Christ a institué – la Révélation, l’Église, les sacrements, le ministère apostolique et son magistère – requiert l’invocation constante de l’Esprit-Saint et son action pour que se manifeste « l’amour qui ne passe jamais » (1 Co 13, 8) dans la communion des saints à la vie trinitaire.

« Avec le Père et le Fils, il reçoit même adoration et même gloire ; il a parlé par les prophètes »

C’est ici l’affirmation de la foi en la Trinité Sainte : entre les trois Personnes divines qui ne sont qu’un seul Dieu, n’existe aucune hiérarchie et elles ne se distinguent que dans le rapport d’amour incessant qui les lie entre elles.
Si, dans l’activité de Dieu c’est toujours la Trinité tout entière qui est à l’œuvre, il est souligné dans ce qui va suivre que sans l’Esprit Saint rien de tout cela ne serait possible, à commencer par l’inspiration (toujours l’image du souffle…des Ecritures. Par le terme « les prophètes », on désigne toute la révélation qui a précédé le Christ et qui conduit à lui, en un mot : l’Ancien Testament. Nous avons déjà vu que pour le Nouveau Testament qui est l’expression même du Christ, Verbe de Dieu, Jésus lui-même avait annoncé que ce serait le même Esprit Saint qui le rendrait intelligible aux générations successives.
A ce sujet, la foi nous fait tenir deux choses complémentaires :
1/ l’Ecriture a Dieu pour auteur, elle est donc à ce titre l’expression de la vérité et non pas seulement en matière de foi et de mœurs. Ainsi exige-t-elle du croyant un respect absolu et une soumission du cœur et de l’intelligence.
2/ elle est en même temps le produit d’écrivains sacrés tributaires de leur culture ; déjà saint Thomas d’Aquin écrivait : « Dans l’Ecriture, les choses divines nous sont transmises selon le mode dont les hommes ont coutume d’user. » Il ne faut donc pas imaginer que l’Ecriture serait littéralement tombée du ciel ou qu’elle ait été apportée mystérieusement par un ange, pas plus que dictée en mode d’écriture automatique. L’énorme travail exégétique des XIX-XXème siècle a dégagé dans les textes sacrés ses différentes sources, comme dans un chantier archéologique et les influences qui l’ont façonnée. Pie XII résume l’enseignement de ses prédécesseurs (dont Benoît XV qu’il cite) en affirmant que l’auteur sacré, « en composant le Livre Saint, est instrument de l’Esprit Saint, mais instrument vivant et doué de raison ; conduit par la motion divine, il use cependant de ses facultés et de ses forces, de telle manière que l’on peut facilement saisir dans le livre, composé par lui, ” son caractère particulier et, pour ainsi dire, ses traits et linéaments personnels ” » (encyclique Divino afflante Spiritu).
D’où la nécessité d’une continuelle recherche qui fasse appel aux ressources de toutes les sciences, et le recours à l’interprétation autorisée de l’Eglise, qui, à la suite des Pères, est capable d’en discerner le sens.

« Je crois en l’Eglise, une, sainte, catholique et apostolique. »

Après « Dieu le Père, son Fils et l’Esprit Saint », il ne s’agit pas là de la quatrième personne de la Trinité ! Nous sommes toujours dans la contemplation de l’œuvre de cet Esprit qui est comme le ciment de l’Eglise, sans lequel elle ne serait qu’une organisation parmi d’autres : comme il est à l’œuvre en Marie au jour de l’Incarnation, l’Esprit Saint opère en chacune des pierres vivantes que nous sommes l’édification du « Corps mystique du Christ ».
Le mot grec « Ekklesia » désigne une assemblée, il donnera ensuite son nom au bâtiment où se réunit la communauté chrétienne (ce qui en dit long sur la différence entre le culte païen dont l’édifice sacré est le temple et la foi chrétienne qui, par le baptême, fait du fidèle un temple de l’Esprit Saint).
« Une, sainte, catholique et apostolique » sont les quatre « notes » qui caractérisent l’Eglise, peuple de Dieu.
« Une » : la prière du Christ pour l’unité de son Eglise est connue. L’Eglise se constitue autour de la personne du Christ qui en fait l’unité : elle n’a rien d’une unité consensuelle qui établirait un lien extérieur entre personnes partageant les mêmes convictions ou les mêmes valeurs. Le retour au Christ et à son message a toujours été la réponse la plus adaptée aux forces de divisions que ne cesse de susciter le « Diviseur » (Diabolos). Que l’Eglise ait succombé parfois à ces forces et que ceux qui se réclament du Christ soient aujourd’hui séparés n’empêche pas que l’Eglise est une en son essence. Notre communion dans la foi n’est possible qu’en fonction de la réalité unique qui en est le cœur, et de notre proximité avec elle.
« Sainte » : voilà qui fait toujours réagir quand on considère les péchés des clercs (sans parler des fidèles…) ! Là encore, ce qui la défigure n’empêche pas celle que le Christ a enfanté d’être belle et d’avoir vocation à le rester ou à le redevenir. Nous qui sommes pécheurs, n’avons-nous pas gardé, comme un appel intérieur, la sainteté de notre baptême qui ne demande qu’à être revivifiée par les sacrements ? Les membres de l’Eglise primitive s’appelaient « les saints » comme en témoignent les lettres de saint Paul, avons-nous perdu de vue notre vocation à la sainteté ? Ceux que l’Eglise a reconnus officiellement comme tels sont là pour nous la rappeler et pour nous dire que c’est possible !

« Catholique » : le mot n’a pas ici le sens restrictif de chrétien non-orthodoxe ou non-protestant, mais le sens étymologique d’« universel » ; plusieurs fois je l’ai ainsi entendu proclamer par des pasteurs protestants sans aucune réserve. L’Eglise doit être « orthodoxe » c’est-à-dire professant une juste doctrine, elle doit être aussi « catholique » en ce sens que la foi qu’elle propose doit être universelle. L’honneur revient à un moine de Lérins d’avoir formulé cela en des termes demeurés célèbres : en 434 saint Vincent de Lérins rappelle la règle d’or de la catholicité orthodoxe : ne croire et n’enseigner que « ce qui a été cru partout, toujours et par tous. » En effet, la Vérité est le Christ qui est « le même hier, aujourd’hui et éternellement » (Heb XIII 8). Cela n’exclut pas que la foi puisse se développer et se dire avec des mots nouveaux ni que des opinions divergentes puissent se faire entendre parfois, mais le contenu de la foi, s’il se veut authentique, ne peut qu’être en consonance avec l’évangile, avec les Pères de l’Eglise, avec le sentiment chrétien tel qu’il s’est toujours exprimé et qu’il s’exprime aujourd’hui dans un large consensus, qui dépasse donc les frontières du temps et de l’espace.
Eglise catholique et Eglise universelle…     
Peut-on croire que cette Eglise universelle et unanime n’existe pas ici-bas (voire ne puisse jamais exister), et qu’elle ne serait qu’une réalité virtuelle ou qu’elle consisterait dans la somme de tous ceux qui se disent chrétiens et qui formeraient ainsi l’unique et véritable « Eglise catholique » sans véritables contours ni définition précise ? Certainement pas !
Notre appellation de « catholiques » est-elle usurpée ? Pas d’avantage, répond le concile Vatican II avec cette précision d’importance : « C’est là l’unique Église du Christ, dont nous professons dans le symbole l’unité, la sainteté, la catholicité et l’apostolicité, cette Église que notre Sauveur, après sa résurrection, remit à Pierre pour qu’il en soit le pasteur (Jn 21, 17), qu’il lui confia, à lui et aux autres Apôtres, pour la répandre et la diriger (cf. Mt 28, 18, etc.) et dont il a fait pour toujours la « colonne et le fondement de la vérité » (1 Tm 3, 15). Cette Église comme société constituée et organisée en ce monde, c’est dans l’Église catholique qu’elle subsiste, gouvernée par le successeur de Pierre et les évêques qui sont en communion avec lui, bien que des éléments nombreux de sanctification et de vérité se trouvent hors de sa sphère, éléments qui, appartenant proprement par le don de Dieu à l’Église du Christ, portent par eux-mêmes à l’unité catholique. » (const. Lumen Gentium)

« Apostolique » : l’Eglise est fondée sur le témoignage exclusif des apôtres : ce que nous savons de Jésus, nous le savons par leur enseignement dont les évangélistes sont les porte-parole, ainsi la Révélation que Dieu nous a donnée de lui en Jésus-Christ est close à la mort du dernier apôtre.
Cependant ce message reste vivant et s’incarne en s’actualisant dans une communauté dont les successeurs des apôtres que sont les évêques sont les chevilles ouvrières.
D’ailleurs la « succession apostolique » est un des éléments qui conditionnent la validité de leur ministère : pour qu’un évêque puisse guider de manière autorisée le peuple de Dieu il faut déjà qu’il ait été ordonné évêque par un évêque qui l’a été par un précédent qui l’a été lui-même, etc. : et à l’origine de cette généalogie épiscopale, on doit retrouver un évêque ordonné par un apôtre même. C’est ainsi qu’un fameux site américain « catholic-hierarchy.org » reconstitue depuis des années les « ascendants » des quelques 5233 évêques vivant aujourd’hui.

L’Esprit-Saint est bien à l’œuvre dans la cohésion de cette immense famille qu’est l’Eglise ; il l’est encore dans la juste façon de l’ « habiter » qui doit être la nôtre. L’adage de saint Cyprien de Carthage (200-258) : « Hors de l’Eglise pas de salut » demeure valide, qui dit que le Christ est l’unique Sauveur des hommes, qu’il s’est uni de manière irréversible à son Eglise et que c’est à travers elle, son témoignage et son action que le Seigneur continue de se donner, cependant, comme le rappelait le pape Benoît XVI le 1er octobre 2000, « Notre confession du Christ comme Fils unique, en qui nous voyons le visage du Père (cf. Jn XIV, 8), n’est pas arrogance qui méprise les autres religions, mais joyeuse reconnaissance parce que le Christ s’est montré à nous sans aucun mérite de notre part. Et, dans le même temps, il nous a demandé de continuer à donner ce que nous avons reçu et aussi à communiquer aux autres ce qui nous a été donné, parce que la Vérité donnée et l’Amour qui est Dieu appartiennent à tous les hommes. Avec l’apôtre Pierre, nous confessons que « son Nom, donné aux hommes, est le seul qui puisse nous sauver » (Ac IV, 12). » Ainsi que l’Esprit-Saint a chargé de fruits innombrables le labeur des apôtres, nous pouvons croire que l’œuvre de l’Eglise dépasse mystérieusement ce que nous percevons aujourd’hui de sa fécondité, par la puissance de ce même Esprit.

« Je reconnais un seul baptême pour le pardon des péchés. »

Des sept sacrements institués par le Christ où opère l’Esprit-Saint, le premier est déterminant : il est celui qui définit l’entrée dans l’Eglise et assure la communion de tous ceux qui ont été, sont et seront baptisés « au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit ».
« Un seul » : il ne peut y avoir deux baptêmes pour le même individu, il ne peut y avoir non plus des propositions diverses : le geste est simple (verser de l’eau sur la tête, au minimum ou plonger tout entier dans l’eau), la formule est restée la même depuis toujours, elle est unique (« N., je te baptise au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit »). Rien n’est plus accessible : comme le pardon de Dieu… Pas besoin de lieu spécifique, pas besoin de personne consacrée non plus, en cas de nécessité : homme ou femme, chrétien ou non, toute personne peut baptiser validement en faisant ce que l’Eglise veut faire par ce rite. Peut-on d’avantage exprimer le désir ardent de Dieu de voir tout être s’ouvrir au salut par cette démarche qui ne requiert rien, que la bonne volonté ?
En effet, Dieu en est l’acteur premier : c’est l’Esprit Saint qui suscite le désir de la foi, c’est lui qui la donne dans l’acte du baptême, c’est Dieu qui communique sa vie, c’est Dieu qui réconcilie alors l’homme né si loin de lui parce qu’un jour nos pères ont fait ce choix…
« Pour le pardon des péchés » : mystère de la liberté, condition indispensable à l’amour, qui a conduit l’homme à se choisir lui-même à l’aube de la Création, plutôt que d’accepter Dieu ; c’est le péché originel où Adam et Eve ont mangé « du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal », c’est-à-dire n’ont pas accepté de tenir d’un Autre la définition du chemin qui conduit au bonheur. Et depuis, l’homme est conçu hors de la maison paternelle, loin de l’harmonie originelle ; cependant, comme le père de l’Enfant prodigue, Dieu ne cesse de sortir à la recherche de l’homme : le Seigneur sort (Mt XX 1 sq). Après avoir envoyé ses prophètes, Dieu envoya son propre Fils (Mt XXI 37) et s’il fut rejeté lui-aussi, il nous obtint le pardon sur la Croix. Pour autant, le Seigneur n’a jamais renoncé à nous vouloir libres : le choix individuel et personnel (même à travers celui de personnes responsables comme les parents d’un bébé) est l’expression nécessaire de l’accueil du pardon opéré par la Croix. Sans cela, le sang du Christ a coulé en vain pour moi…
Oui, « celui qui croira et sera baptisé sera sauvé » (Mc XVI 16), car hors de moi, vous ne pouvez rien faire » (Jn XV 5), dit le Seigneur. Notons enfin que si Dieu est l’acteur, il ne se passe pas de notre adhésion consciente et de notre engagement (« celui qui croira »), ne réduisant pas le baptême à un acte simplement externe et magique.

« J’attends la résurrection des morts »

Notre foi est tournée vers l’avenir, où Dieu nous garantit que nous aurons notre place. Or nous savons de façon certaine que notre parcours terrestre s’achèvera par la mort physique et la destruction plus ou moins lente de notre corps (à moins que le Seigneur soit de retour avant !). Notre participation au monde futur passe donc nécessairement par la résurrection.
Là-encore, c’est l’Esprit-Saint qui est à l’œuvre comme en témoigne la vision d’Ezéchiel (XXXVII 1-14) : « L’esprit du Seigneur m’emporta, et je me trouvai au milieu d’une vallée qui était pleine d’ossements. (…) Le Seigneur me dit : «Prononce un oracle sur ces ossements : Ossements desséchés, écoutez la parole du Seigneur, je vais faire entrer en vous l’esprit, et vous vivrez. (…) Tu vas dire à l’esprit : Ainsi parle le Seigneur Dieu : Viens des quatre vents, esprit ! Souffle sur ces morts, et qu’ils vivent ! » Je prophétisai et l’esprit entra en eux ; ils revinrent à la vie, et ils se dressèrent sur leurs pieds. Puis le Seigneur me dit : « (…) Adresse-leur cet oracle : Ainsi parle le Seigneur Dieu : Je vais ouvrir vos tombeaux et je vous en ferai sortir, ô mon peuple, et je vous ramènerai sur la terre d’Israël. (…) Je mettrai en vous mon esprit, et vous vivrez (…) : je l’ai dit, et je le ferai. »
La participation de notre corps à la vie future s’impose dès lors qu’on accepte de considérer, comme le fait l’Ecriture sainte, que l’être humain ne se contente pas d’être un esprit provisoirement prisonnier d’un corps mais que ces deux composantes sont constitutives de notre identité. Jésus l’affirme clairement face à l’ironie de ses contradicteurs qui lui opposent les objections faciles que le monde ne cesse d’entretenir à cet égard (Lc XX 27-40). Sa propre résurrection physique l’atteste et répond partiellement à nos interrogations sur la nature de notre « corps glorieux », qui honore à la fois la continuité d’avec le corps physique antérieur (il ne peut y avoir de reliques des corps de Jésus ou de Marie qui sont entrés déjà dans le monde à venir) et la rupture due à la nature radicalement autre de cette nouvelle réalité qui nous échappe nécessairement.
Déjà Job le proclamait : « Après qu’on aura détruit cette peau qui est mienne, c’est bien dans ma chair que je contemplerai Dieu. « (XIX 26)
Sans étancher totalement notre curiosité, la foi nous invite à la confiance : à notre mort, notre âme est susceptible de voir Dieu face à face (« jugement particulier »). En considérant les choses de notre point de vue temporel (mais non pour Dieu pour lequel « mille ans est comme un jour »), notre corps entrera lui aussi dans la Création nouvelle quand, à son retour, le Christ inaugurera le monde futur (« Jugement dernier »).

« Et la vie du monde à venir. Amen.»

Il est normal que le Credo s’achève par cet acte de foi et d’espérance qui soutient la marche de l’Eglise et de l’histoire vers son achèvement. Le chrétien n’est pas celui qui regarde en arrière en faisant mémoire du passé, mais celui qui est déjà le témoin du « monde à venir ». Que sera-t-il ? Il sera inauguré par le retour glorieux et définitif du Christ. Le jugement dernier qu’il présidera (Mt XXV 31-46) mettra en lumière le choix ou le refus de chacun face à Celui qui est : c’est ce qu’on appelle le « Paradis » et l’ « Enfer », expression de l’amour de Dieu qui respecte la liberté de ses enfants. Sans cela, l’existence de l’homme ne serait qu’une farce et l’être humain lui-même, un pantin entre les mains du grand marionnettiste. A quoi bon satisfaire encore là notre curiosité puisque nos capacités présentes sont inaptes à cerner une réalité qui les dépasse, y compris dans sa dimension inassimilable d’éternité ? Tout au plus, devons-nous nous contenter des paraboles que le Christ multiplie pour nous enseigner et nous avertir ; évoquant les victimes innocentes de la violence des hommes ou des accidents de la nature, il affirme : « Pensez-vous qu’ils étaient de plus grands pécheurs que tous les autres, pour avoir subi un tel sort ? Eh bien non, je vous le dis ; et si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous comme eux. Pensez-vous que ces personnes étaient plus coupables que tous les autres ? Eh bien non, je vous le dis ; et si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de la même manière » (Lc XIII 2-5). Qui sommes-nous pour imposer à Dieu, au nom d’une bonté falsifiée ou d’une conception corrompue de la justice, l’obligation de ne tenir aucun compte de notre propre vie et de refuser ce jugement ? Depuis des siècles, des hommes ont rêvé à un happy end illustré par un célèbre refrain « on ira tous au paradis », coup de baguette magique propre à flatter notre médiocrité mais qui réduit à rien la liberté et la responsabilité des créatures. Depuis le deuxième concile de Constantinople l’Eglise a condamné pareille fantaisie que son appellation théologique technique d’«apocatastase» ne suffit pas à rendre crédible.
Cependant le dernier mot est bien à l’espérance pour tous ceux qui mettent leur foi en Jésus, Fils de Dieu, car il nous a sauvés ! Et cette espérance donne un sens tout particulier à notre présent, comme le note l’inclassable écrivain Erri De Luca : « Après le Christ, le temps s’est réduit à un entre-temps, à une parenthèse de veille entre sa mort et sa revenue. Après lui, plus personne n’est résident, nous sommes tous des hôtes en attente de visa. » Et c’est la foi, la foi reçue, la foi vécue qui nous l’a déjà accordé.

Publié le 30 mai 2025

Le credo partie 3

« Je crois en l’Esprit Saint. »

On parlait plus volontiers autrefois du « Saint-Esprit », on semble préférer aujourd’hui l’expression « Esprit Saint ». Pourquoi ? Sans doute pour ne pas en faire un saint de plus, entre « Saint-Antoine » et « Sainte-Rita »… L’Esprit Saint, en effet, domine de très haut toutes les créatures, comme nous le verrons dans les prochains articles.
Il n’est pas non plus un accessoire au milieu de tout ce qui semble avoir été accumulé à la fin du texte du Credo : les prophètes, l’Eglise, le baptême, la résurrection, la vie du monde futur, etc. Notre Profession de foi reste bien trinitaire, dans ce qu’elle confesse du Père, puis du Fils, enfin du Saint-Esprit dont toute la fin du Credo explicite l’action : si elle évoque les prophètes, c’est parce qu’ils sont inspirés par l’Esprit Saint, l’Eglise, parce que l’Esprit Saint est comme son ciment, les sacrements, parce que c’est l’Esprit Saint qui en est l’agent, la résurrection, parce que c’est encore lui qui est le souffle qui nous redonnera vie, etc.
Le mot « Esprit » lui-même est encore une source d’ambiguïté, heureusement encore que nous ne le traitons pas de « fantôme », comme les Anglais pour lesquels il est « the Holy Ghost » ! Il ne s’agit pas bien sûr, d’un esprit qui hanterait le monde, pas plus de l’esprit de Jésus-Christ, ni de celui de l’évangile, comme on parle de l’esprit de la Constitution. Certains ont voulu en faire la relation entre le Père et le Fils Eternel, mais une relation n’a jamais été une personne ! Dire qu’il est l’Amour au sein de la Trinité ne convient pas d’avantage, car on peut en dire autant de chacune des Personnes divines…
Ainsi, chaque fois qu’on a voulu le définir, il s’est comme échappé à la compréhension de ceux qui voulaient le saisir, et c’est bien en cela qu’il est « Esprit ».
La meilleure image reste encore celle que nous offre le Christ quand il explique au vieux Nicodème le mystère de la Résurrection : « Le vent souffle où il veut : tu entends le bruit qu’il fait, mais tu ne sais pas d’où il vient ni où il va. Il en est ainsi de tout homme qui est né du souffle de l’Esprit. » (Jn III 8).
La traduction du mot « esprit » en hébreu (rouah) , en grec (πνευμα), en latin (spiritus) désigne aussi le souffle, le vent. Nous verrons comment cette réalité traverse toute l’Ecriture et nous fait percevoir quelque chose de l’identité de l’Esprit Saint à travers ce que nous voyons de son activité … tout comme le vent.

Le souffle (ou le vent), nous l’avons vu, semble être une image adéquate pour évoquer ce qu’est l’Esprit Saint.
Son usage est, en tout cas, consacré par son emploi régulier au fil des pages de la Sainte Ecriture. Il est déjà amusant de voir que ce mot, masculin en latin ou en français, est féminin en hébreu et neutre en grec ! Bien avant qu’il ne nous soit révélé par Jésus-Christ (les Juifs ne le connaissent pas comme personne divine), il apparaît dès le deuxième verset de la Bible où « l’Esprit planait sur les eaux » de la Création, traduit par l’antique bible grecque par « souffle de Dieu ». Un peu plus tard, c’est en insufflant son souffle de vie dans ses narines, que Dieu crée l’être humain. De la même façon, le Christ ressuscité recrée la nouvelle humanité en soufflant sur ses apôtres au soir de Pâques, lorsqu’il leur dit : « recevez l’Esprit Saint ».

Le Seigneur Jésus emploie une autre image en nous promettant le « Paraclet » (Jn XIV 16, 26, XV 26, XVII 7), mot grec qui signifie « celui qui console », ou « celui qui intercède », l’« avocat ». On pourrait même traduire par le terme juridique d’ « avoué ». L’avoué avait pour office (la profession a récemment disparu …) de représenter les justiciables, d’être à leurs côtés, comme l’Esprit Saint désormais envoyé à l’humanité pour représenter sa dignité restaurée et maintenir ses droits. Ecoutons Jésus nous révéler l’existence de cet Esprit distinct de lui et du Père mais qui partage leur éternité et leur puissance :
“Et moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre Paraclet afin qu’il demeure éternellement avec vous”. (Jn XIV 16), “l’Esprit de vérité, le monde ne le voit pas et ne le connaît pas, il sera en vous” (Jn XIV 17). « L’Esprit Saint, que le Père enverra en mon nom, vous rappellera tout ce que je vous ai dit, il me glorifiera” (Jn XIV 26, XVI 14).

L’Esprit Saint est donc celui qui habitera désormais et pour toujours l’humanité rachetée par le Christ et actualisera dans l’histoire de l’Eglise l’enseignement du Seigneur, il est encore celui qui animera la louange et la prière qui montent vers Jésus-Christ, qui lui semble inséparable. Contrairement à la tentative de mystiques mal inspirés – au cours du Moyen-Age notamment – à l’ « âge du Père » n’a pas succédé celui du Fils puis celui de l’Esprit Saint : c’est la Trinité tout entière qui est à l’œuvre quand l’Esprit nous ouvre au Verbe éternel, selon la volonté du Père.

« Je crois en l’Esprit Saint qui est Seigneur et qui donne la vie. »

Nous l’avons déjà vu pour Jésus, le Verbe de Dieu incarné auquel le Credo donne le même titre de « Seigneur » : cette appellation qui se traduit en grec par « Kyrios » (celui de notre « Kyrie eleison ») désigne Dieu, c’est la traduction du nom imprononçable YHWH sous lequel Dieu s’est révélé à Moïse au buisson ardent.
L’Esprit Saint est Dieu, au même titre que le Père et que le Fils, comme Jésus le révèle en proclamant son éternité (Jn XIV 16) et son lien tout particulier avec le Père et le Fils (Jn XIV 26, XVI 14). Non pas un « troisième Dieu » (!), pas d’avantage une simple « facette » du Dieu unique, mais bien le seul vrai Dieu dont il nous est révélé qu’il est Trinité : trois Personnes distinctes dans l’unité de leur nature, ce que nous ne pouvions découvrir par nous-mêmes et que nous ne pouvons pas faire rentrer dans les catégories qui nous sont actuellement accessibles, il faut bien l’avouer.
Quand le Credo ajoute que l’Esprit Saint « donne la vie » il ne nous permet pas de le distinguer non plus du Père et du Fils car la Trinité tout entière est source de vie. Néanmoins les nombreux symboles par lesquels il est exprimé dans l’Ecriture l’associent explicitement au don de la vie divine :
l’eau (eaux de la Création, eau qui coule du cœur du Christ crucifié, eau du baptême), le feu (feu de la parole des prophètes, feu qui purifie les sacrifices, feu qui ne consume pas le buisson ardent et consacre la virginité de Marie, langues de feu de la Pentecôte).
Ainsi, plus que le substantif « vie », c’est le verbe « donne » qui semble mieux exprimer l’Esprit Saint, appelé aussi le « don de Dieu » : c’est la formule liturgique employée par l’évêque au jour de notre confirmation : « Reçois l’Esprit Saint, le don de Dieu ». « Dieu est amour » nous dit saint Jean (1Jn IV 8,16) et cet amour « Dieu l’a répandu dans nos cœurs par l’Esprit qui nous fut donné. » (Rom V 5).
L’Esprit est « don de Dieu » parce qu’il vient de Dieu mais il l’est aussi parce qu’il est Dieu qui se donne.

« Il procède du Père et du Fils. »

Nous sommes devant l’une des affirmations les plus controversées du Credo même si nous la prononçons chaque dimanche sans sourciller car elle ne nous dit pas grand chose, à nous aujourd’hui, et pourtant…

Elle s’enracine dans une parole du Christ : « Lorsque viendra le Paraclet que je vous enverrai d’auprès du Père, l’Esprit de vérité qui procède du Père, il rendra lui-même témoignage de moi » (Jn XV 26). Le Credo du concile de Nicée (325) confirmé par celui de Constantinople (381) pourra ainsi affirmer : « Nous croyons en l’Esprit-Saint, qui est Seigneur et qui donne la vie, qui procède du Père, qui a parlé par les Prophètes, qui avec le Père et le Fils est adoré et glorifié »

D’où vient donc que les Occidentaux disent aujourd’hui : « qui procède du Père et du Fils », alors que les Orientaux s’en tiennent à la formule originaire, sans la mention du Fils (ce qui constitue entre orthodoxes et catholiques une pomme de discorde non négligeable, surtout en Orient) ?
C’est l’Église espagnole qui introduisit la première cette modification, après le concile de Tolède de 589 qui visait à réagir contre l’arianisme qui la menaçait. Cette mention du « Filioque » (traduction latine de l’ajout « et du Fils ») passa ensuite en Gaule. En atteignant Jérusalem (807) l’innovation va mettre en branle les oppositions historiques entre le patriarche de Constantinople, qui préfèrerait dire que le Saint Esprit « procède du Père par le Fils », l’empereur d’Occident (Charlemagne) qui soutient la modification et le pape, qui s’en tient à l’usage traditionnel.
Et c’est finalement Charlemagne qui l’imposa au concile d’Aix-la-Chapelle en 809, au moins pour ceux qui lui étaient soumis : Rome ne l’entérinera qu’au XIème siècle, après mûre réflexion. Mais jusqu’à ces dernières années le « Filioque » représentera pour les orthodoxes un argument pour dénoncer une modification unilatérale de la foi commune et originelle de l’Eglise et donc l’hétérodoxie (foi erronée) des catholiques, alors que les Occidentaux moins frottés de théologie et peut-être moins subtils n’y voyaient pas là de quoi alimenter une querelle…

Nous non plus et nous ne voyons pas bien le sens ni l’intérêt de toute cette histoire. Alors peut-être faut-il nous poser la question de la signification profonde de ces formules et aller un peu plus loin, ce que nous ferons au chapitre suivant !

Dans le cadre de la recherche de l’unité des chrétiens, parut en 1995 un document romain intitulé « Les traditions grecque et latine concernant la procession du Saint-Esprit » où l’Eglise catholique reconnaît le texte grec originel du concile de Constantinople comme la norme irréformable de la foi (d’ailleurs, en grec, on a toujours utilisé la formule traditionnelle à Rome) : dans la Trinité le Père est l’unique source.
Mais si la tradition orientale exprime d’abord le caractère d’origine première du Père par rapport à l’Esprit, la tradition occidentale quant à elle exprime d’abord la communion consubstantielle entre le Père et le Fils. « Cette légitime complémentarité, si elle n’est pas durcie, n’affecte pas l’identité de la foi dans la réalité du même mystère confessé » (Catéchisme de l’Église, n. 248).
Quel est ce caractère trinitaire que la personne du Saint-Esprit apporte à la relation même entre le Père et le Fils ? Le Père est l’amour dans sa source (2 Co 13, 13 ; 1 Jn 4, 8. 16), le Fils est « le Fils de son amour » (Col 1, 14). « L’Esprit-Saint qui a répandu dans nos cœurs l’amour de Dieu » (Rm 5, 5) est le Don éternel du Père à son « Fils bien-aimé » (Mc 1, 9 ; 9, 7 ; Lc 20, 13 ; Ép 1, 6). L’amour divin qui a son origine dans le Père repose dans « le Fils de son amour » pour exister par celui-ci dans la personne de l’Esprit. Cela rend compte du fait que l’Esprit-Saint oriente toute la vie de Jésus vers le Père dans l’accomplissement de sa volonté. Le Père envoie son Fils (Ga 4, 4) quand Marie le conçoit par l’opération du Saint-Esprit (Lc 1, 35). Celui-ci manifeste Jésus comme Fils du Père au baptême en reposant sur lui (Lc 3, 21-22 ; Jn 1, 33). Il pousse Jésus au désert (Mc 1, 12). Jésus en revient « rempli du Saint-Esprit » (Lc 4, 1), puis il commence son ministère « avec la puissance de l’Esprit » (Lc 4, 14). Il tressaille de joie dans l’Esprit en bénissant le Père pour son dessein bienveillant (Lc 10, 21). Il choisit ses apôtres « sous l’action de l’Esprit-Saint » (Ac 1, 2). Il expulse les démons par l’Esprit de Dieu (Mt 12, 28). Il s’offre lui-même au Père « par un Esprit éternel » (He 9, 14). Sur la Croix il « remet son Esprit » entre les mains du Père (Lc 23, 46). C’est « en lui » qu’il descend aux Enfers (1 P 3, 19) et c’est par lui qu’il est ressuscité (Rm 8, 11) et «établi dans sa puissance de Fils de Dieu » (Rm 1, 4). L’Esprit, tout en découlant du Fils dans sa mission, est celui qui introduit les hommes dans la relation filiale du Christ à son Père, car cette relation ne trouve son caractère trinitaire qu’en lui : « Dieu a envoyé dans nos cœurs l’Esprit de son Fils qui crie : Abba, Père ! » (Ga 4, 6). Dans le mystère du salut et dans la vie de l’Église, l’Esprit fait donc beaucoup plus que prolonger l’œuvre du Fils. En effet, tout ce que le Christ a institué – la Révélation, l’Église, les sacrements, le ministère apostolique et son magistère – requiert l’invocation constante de l’Esprit-Saint et son action pour que se manifeste « l’amour qui ne passe jamais » (1 Co 13, 8) dans la communion des saints à la vie trinitaire.

« Avec le Père et le Fils, il reçoit même adoration et même gloire ; il a parlé par les prophètes »

C’est ici l’affirmation de la foi en la Trinité Sainte : entre les trois Personnes divines qui ne sont qu’un seul Dieu, n’existe aucune hiérarchie et elles ne se distinguent que dans le rapport d’amour incessant qui les lie entre elles.
Si, dans l’activité de Dieu c’est toujours la Trinité tout entière qui est à l’œuvre, il est souligné dans ce qui va suivre que sans l’Esprit Saint rien de tout cela ne serait possible, à commencer par l’inspiration (toujours l’image du souffle…des Ecritures. Par le terme « les prophètes », on désigne toute la révélation qui a précédé le Christ et qui conduit à lui, en un mot : l’Ancien Testament. Nous avons déjà vu que pour le Nouveau Testament qui est l’expression même du Christ, Verbe de Dieu, Jésus lui-même avait annoncé que ce serait le même Esprit Saint qui le rendrait intelligible aux générations successives.
A ce sujet, la foi nous fait tenir deux choses complémentaires :
1/ l’Ecriture a Dieu pour auteur, elle est donc à ce titre l’expression de la vérité et non pas seulement en matière de foi et de mœurs. Ainsi exige-t-elle du croyant un respect absolu et une soumission du cœur et de l’intelligence.
2/ elle est en même temps le produit d’écrivains sacrés tributaires de leur culture ; déjà saint Thomas d’Aquin écrivait : « Dans l’Ecriture, les choses divines nous sont transmises selon le mode dont les hommes ont coutume d’user. » Il ne faut donc pas imaginer que l’Ecriture serait littéralement tombée du ciel ou qu’elle ait été apportée mystérieusement par un ange, pas plus que dictée en mode d’écriture automatique. L’énorme travail exégétique des XIX-XXème siècle a dégagé dans les textes sacrés ses différentes sources, comme dans un chantier archéologique et les influences qui l’ont façonnée. Pie XII résume l’enseignement de ses prédécesseurs (dont Benoît XV qu’il cite) en affirmant que l’auteur sacré, « en composant le Livre Saint, est instrument de l’Esprit Saint, mais instrument vivant et doué de raison ; conduit par la motion divine, il use cependant de ses facultés et de ses forces, de telle manière que l’on peut facilement saisir dans le livre, composé par lui, ” son caractère particulier et, pour ainsi dire, ses traits et linéaments personnels ” » (encyclique Divino afflante Spiritu).
D’où la nécessité d’une continuelle recherche qui fasse appel aux ressources de toutes les sciences, et le recours à l’interprétation autorisée de l’Eglise, qui, à la suite des Pères, est capable d’en discerner le sens.

« Je crois en l’Eglise, une, sainte, catholique et apostolique. »

Après « Dieu le Père, son Fils et l’Esprit Saint », il ne s’agit pas là de la quatrième personne de la Trinité ! Nous sommes toujours dans la contemplation de l’œuvre de cet Esprit qui est comme le ciment de l’Eglise, sans lequel elle ne serait qu’une organisation parmi d’autres : comme il est à l’œuvre en Marie au jour de l’Incarnation, l’Esprit Saint opère en chacune des pierres vivantes que nous sommes l’édification du « Corps mystique du Christ ».
Le mot grec « Ekklesia » désigne une assemblée, il donnera ensuite son nom au bâtiment où se réunit la communauté chrétienne (ce qui en dit long sur la différence entre le culte païen dont l’édifice sacré est le temple et la foi chrétienne qui, par le baptême, fait du fidèle un temple de l’Esprit Saint).
« Une, sainte, catholique et apostolique » sont les quatre « notes » qui caractérisent l’Eglise, peuple de Dieu.
« Une » : la prière du Christ pour l’unité de son Eglise est connue. L’Eglise se constitue autour de la personne du Christ qui en fait l’unité : elle n’a rien d’une unité consensuelle qui établirait un lien extérieur entre personnes partageant les mêmes convictions ou les mêmes valeurs. Le retour au Christ et à son message a toujours été la réponse la plus adaptée aux forces de divisions que ne cesse de susciter le « Diviseur » (Diabolos). Que l’Eglise ait succombé parfois à ces forces et que ceux qui se réclament du Christ soient aujourd’hui séparés n’empêche pas que l’Eglise est une en son essence. Notre communion dans la foi n’est possible qu’en fonction de la réalité unique qui en est le cœur, et de notre proximité avec elle.
« Sainte » : voilà qui fait toujours réagir quand on considère les péchés des clercs (sans parler des fidèles…) ! Là encore, ce qui la défigure n’empêche pas celle que le Christ a enfanté d’être belle et d’avoir vocation à le rester ou à le redevenir. Nous qui sommes pécheurs, n’avons-nous pas gardé, comme un appel intérieur, la sainteté de notre baptême qui ne demande qu’à être revivifiée par les sacrements ? Les membres de l’Eglise primitive s’appelaient « les saints » comme en témoignent les lettres de saint Paul, avons-nous perdu de vue notre vocation à la sainteté ? Ceux que l’Eglise a reconnus officiellement comme tels sont là pour nous la rappeler et pour nous dire que c’est possible !

« Catholique » : le mot n’a pas ici le sens restrictif de chrétien non-orthodoxe ou non-protestant, mais le sens étymologique d’« universel » ; plusieurs fois je l’ai ainsi entendu proclamer par des pasteurs protestants sans aucune réserve. L’Eglise doit être « orthodoxe » c’est-à-dire professant une juste doctrine, elle doit être aussi « catholique » en ce sens que la foi qu’elle propose doit être universelle. L’honneur revient à un moine de Lérins d’avoir formulé cela en des termes demeurés célèbres : en 434 saint Vincent de Lérins rappelle la règle d’or de la catholicité orthodoxe : ne croire et n’enseigner que « ce qui a été cru partout, toujours et par tous. » En effet, la Vérité est le Christ qui est « le même hier, aujourd’hui et éternellement » (Heb XIII 8). Cela n’exclut pas que la foi puisse se développer et se dire avec des mots nouveaux ni que des opinions divergentes puissent se faire entendre parfois, mais le contenu de la foi, s’il se veut authentique, ne peut qu’être en consonance avec l’évangile, avec les Pères de l’Eglise, avec le sentiment chrétien tel qu’il s’est toujours exprimé et qu’il s’exprime aujourd’hui dans un large consensus, qui dépasse donc les frontières du temps et de l’espace.
Eglise catholique et Eglise universelle…     
Peut-on croire que cette Eglise universelle et unanime n’existe pas ici-bas (voire ne puisse jamais exister), et qu’elle ne serait qu’une réalité virtuelle ou qu’elle consisterait dans la somme de tous ceux qui se disent chrétiens et qui formeraient ainsi l’unique et véritable « Eglise catholique » sans véritables contours ni définition précise ? Certainement pas !
Notre appellation de « catholiques » est-elle usurpée ? Pas d’avantage, répond le concile Vatican II avec cette précision d’importance : « C’est là l’unique Église du Christ, dont nous professons dans le symbole l’unité, la sainteté, la catholicité et l’apostolicité, cette Église que notre Sauveur, après sa résurrection, remit à Pierre pour qu’il en soit le pasteur (Jn 21, 17), qu’il lui confia, à lui et aux autres Apôtres, pour la répandre et la diriger (cf. Mt 28, 18, etc.) et dont il a fait pour toujours la « colonne et le fondement de la vérité » (1 Tm 3, 15). Cette Église comme société constituée et organisée en ce monde, c’est dans l’Église catholique qu’elle subsiste, gouvernée par le successeur de Pierre et les évêques qui sont en communion avec lui, bien que des éléments nombreux de sanctification et de vérité se trouvent hors de sa sphère, éléments qui, appartenant proprement par le don de Dieu à l’Église du Christ, portent par eux-mêmes à l’unité catholique. » (const. Lumen Gentium)

« Apostolique » : l’Eglise est fondée sur le témoignage exclusif des apôtres : ce que nous savons de Jésus, nous le savons par leur enseignement dont les évangélistes sont les porte-parole, ainsi la Révélation que Dieu nous a donnée de lui en Jésus-Christ est close à la mort du dernier apôtre.
Cependant ce message reste vivant et s’incarne en s’actualisant dans une communauté dont les successeurs des apôtres que sont les évêques sont les chevilles ouvrières.
D’ailleurs la « succession apostolique » est un des éléments qui conditionnent la validité de leur ministère : pour qu’un évêque puisse guider de manière autorisée le peuple de Dieu il faut déjà qu’il ait été ordonné évêque par un évêque qui l’a été par un précédent qui l’a été lui-même, etc. : et à l’origine de cette généalogie épiscopale, on doit retrouver un évêque ordonné par un apôtre même. C’est ainsi qu’un fameux site américain « catholic-hierarchy.org » reconstitue depuis des années les « ascendants » des quelques 5233 évêques vivant aujourd’hui.

L’Esprit-Saint est bien à l’œuvre dans la cohésion de cette immense famille qu’est l’Eglise ; il l’est encore dans la juste façon de l’ « habiter » qui doit être la nôtre. L’adage de saint Cyprien de Carthage (200-258) : « Hors de l’Eglise pas de salut » demeure valide, qui dit que le Christ est l’unique Sauveur des hommes, qu’il s’est uni de manière irréversible à son Eglise et que c’est à travers elle, son témoignage et son action que le Seigneur continue de se donner, cependant, comme le rappelait le pape Benoît XVI le 1er octobre 2000, « Notre confession du Christ comme Fils unique, en qui nous voyons le visage du Père (cf. Jn XIV, 8), n’est pas arrogance qui méprise les autres religions, mais joyeuse reconnaissance parce que le Christ s’est montré à nous sans aucun mérite de notre part. Et, dans le même temps, il nous a demandé de continuer à donner ce que nous avons reçu et aussi à communiquer aux autres ce qui nous a été donné, parce que la Vérité donnée et l’Amour qui est Dieu appartiennent à tous les hommes. Avec l’apôtre Pierre, nous confessons que « son Nom, donné aux hommes, est le seul qui puisse nous sauver » (Ac IV, 12). » Ainsi que l’Esprit-Saint a chargé de fruits innombrables le labeur des apôtres, nous pouvons croire que l’œuvre de l’Eglise dépasse mystérieusement ce que nous percevons aujourd’hui de sa fécondité, par la puissance de ce même Esprit.

« Je reconnais un seul baptême pour le pardon des péchés. »

Des sept sacrements institués par le Christ où opère l’Esprit-Saint, le premier est déterminant : il est celui qui définit l’entrée dans l’Eglise et assure la communion de tous ceux qui ont été, sont et seront baptisés « au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit ».
« Un seul » : il ne peut y avoir deux baptêmes pour le même individu, il ne peut y avoir non plus des propositions diverses : le geste est simple (verser de l’eau sur la tête, au minimum ou plonger tout entier dans l’eau), la formule est restée la même depuis toujours, elle est unique (« N., je te baptise au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit »). Rien n’est plus accessible : comme le pardon de Dieu… Pas besoin de lieu spécifique, pas besoin de personne consacrée non plus, en cas de nécessité : homme ou femme, chrétien ou non, toute personne peut baptiser validement en faisant ce que l’Eglise veut faire par ce rite. Peut-on d’avantage exprimer le désir ardent de Dieu de voir tout être s’ouvrir au salut par cette démarche qui ne requiert rien, que la bonne volonté ?
En effet, Dieu en est l’acteur premier : c’est l’Esprit Saint qui suscite le désir de la foi, c’est lui qui la donne dans l’acte du baptême, c’est Dieu qui communique sa vie, c’est Dieu qui réconcilie alors l’homme né si loin de lui parce qu’un jour nos pères ont fait ce choix…
« Pour le pardon des péchés » : mystère de la liberté, condition indispensable à l’amour, qui a conduit l’homme à se choisir lui-même à l’aube de la Création, plutôt que d’accepter Dieu ; c’est le péché originel où Adam et Eve ont mangé « du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal », c’est-à-dire n’ont pas accepté de tenir d’un Autre la définition du chemin qui conduit au bonheur. Et depuis, l’homme est conçu hors de la maison paternelle, loin de l’harmonie originelle ; cependant, comme le père de l’Enfant prodigue, Dieu ne cesse de sortir à la recherche de l’homme : le Seigneur sort (Mt XX 1 sq). Après avoir envoyé ses prophètes, Dieu envoya son propre Fils (Mt XXI 37) et s’il fut rejeté lui-aussi, il nous obtint le pardon sur la Croix. Pour autant, le Seigneur n’a jamais renoncé à nous vouloir libres : le choix individuel et personnel (même à travers celui de personnes responsables comme les parents d’un bébé) est l’expression nécessaire de l’accueil du pardon opéré par la Croix. Sans cela, le sang du Christ a coulé en vain pour moi…
Oui, « celui qui croira et sera baptisé sera sauvé » (Mc XVI 16), car hors de moi, vous ne pouvez rien faire » (Jn XV 5), dit le Seigneur. Notons enfin que si Dieu est l’acteur, il ne se passe pas de notre adhésion consciente et de notre engagement (« celui qui croira »), ne réduisant pas le baptême à un acte simplement externe et magique.

« J’attends la résurrection des morts »

Notre foi est tournée vers l’avenir, où Dieu nous garantit que nous aurons notre place. Or nous savons de façon certaine que notre parcours terrestre s’achèvera par la mort physique et la destruction plus ou moins lente de notre corps (à moins que le Seigneur soit de retour avant !). Notre participation au monde futur passe donc nécessairement par la résurrection.
Là-encore, c’est l’Esprit-Saint qui est à l’œuvre comme en témoigne la vision d’Ezéchiel (XXXVII 1-14) : « L’esprit du Seigneur m’emporta, et je me trouvai au milieu d’une vallée qui était pleine d’ossements. (…) Le Seigneur me dit : «Prononce un oracle sur ces ossements : Ossements desséchés, écoutez la parole du Seigneur, je vais faire entrer en vous l’esprit, et vous vivrez. (…) Tu vas dire à l’esprit : Ainsi parle le Seigneur Dieu : Viens des quatre vents, esprit ! Souffle sur ces morts, et qu’ils vivent ! » Je prophétisai et l’esprit entra en eux ; ils revinrent à la vie, et ils se dressèrent sur leurs pieds. Puis le Seigneur me dit : « (…) Adresse-leur cet oracle : Ainsi parle le Seigneur Dieu : Je vais ouvrir vos tombeaux et je vous en ferai sortir, ô mon peuple, et je vous ramènerai sur la terre d’Israël. (…) Je mettrai en vous mon esprit, et vous vivrez (…) : je l’ai dit, et je le ferai. »
La participation de notre corps à la vie future s’impose dès lors qu’on accepte de considérer, comme le fait l’Ecriture sainte, que l’être humain ne se contente pas d’être un esprit provisoirement prisonnier d’un corps mais que ces deux composantes sont constitutives de notre identité. Jésus l’affirme clairement face à l’ironie de ses contradicteurs qui lui opposent les objections faciles que le monde ne cesse d’entretenir à cet égard (Lc XX 27-40). Sa propre résurrection physique l’atteste et répond partiellement à nos interrogations sur la nature de notre « corps glorieux », qui honore à la fois la continuité d’avec le corps physique antérieur (il ne peut y avoir de reliques des corps de Jésus ou de Marie qui sont entrés déjà dans le monde à venir) et la rupture due à la nature radicalement autre de cette nouvelle réalité qui nous échappe nécessairement.
Déjà Job le proclamait : « Après qu’on aura détruit cette peau qui est mienne, c’est bien dans ma chair que je contemplerai Dieu. « (XIX 26)
Sans étancher totalement notre curiosité, la foi nous invite à la confiance : à notre mort, notre âme est susceptible de voir Dieu face à face (« jugement particulier »). En considérant les choses de notre point de vue temporel (mais non pour Dieu pour lequel « mille ans est comme un jour »), notre corps entrera lui aussi dans la Création nouvelle quand, à son retour, le Christ inaugurera le monde futur (« Jugement dernier »).

« Et la vie du monde à venir. Amen.»

Il est normal que le Credo s’achève par cet acte de foi et d’espérance qui soutient la marche de l’Eglise et de l’histoire vers son achèvement. Le chrétien n’est pas celui qui regarde en arrière en faisant mémoire du passé, mais celui qui est déjà le témoin du « monde à venir ». Que sera-t-il ? Il sera inauguré par le retour glorieux et définitif du Christ. Le jugement dernier qu’il présidera (Mt XXV 31-46) mettra en lumière le choix ou le refus de chacun face à Celui qui est : c’est ce qu’on appelle le « Paradis » et l’ « Enfer », expression de l’amour de Dieu qui respecte la liberté de ses enfants. Sans cela, l’existence de l’homme ne serait qu’une farce et l’être humain lui-même, un pantin entre les mains du grand marionnettiste. A quoi bon satisfaire encore là notre curiosité puisque nos capacités présentes sont inaptes à cerner une réalité qui les dépasse, y compris dans sa dimension inassimilable d’éternité ? Tout au plus, devons-nous nous contenter des paraboles que le Christ multiplie pour nous enseigner et nous avertir ; évoquant les victimes innocentes de la violence des hommes ou des accidents de la nature, il affirme : « Pensez-vous qu’ils étaient de plus grands pécheurs que tous les autres, pour avoir subi un tel sort ? Eh bien non, je vous le dis ; et si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous comme eux. Pensez-vous que ces personnes étaient plus coupables que tous les autres ? Eh bien non, je vous le dis ; et si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de la même manière » (Lc XIII 2-5). Qui sommes-nous pour imposer à Dieu, au nom d’une bonté falsifiée ou d’une conception corrompue de la justice, l’obligation de ne tenir aucun compte de notre propre vie et de refuser ce jugement ? Depuis des siècles, des hommes ont rêvé à un happy end illustré par un célèbre refrain « on ira tous au paradis », coup de baguette magique propre à flatter notre médiocrité mais qui réduit à rien la liberté et la responsabilité des créatures. Depuis le deuxième concile de Constantinople l’Eglise a condamné pareille fantaisie que son appellation théologique technique d’«apocatastase» ne suffit pas à rendre crédible.
Cependant le dernier mot est bien à l’espérance pour tous ceux qui mettent leur foi en Jésus, Fils de Dieu, car il nous a sauvés ! Et cette espérance donne un sens tout particulier à notre présent, comme le note l’inclassable écrivain Erri De Luca : « Après le Christ, le temps s’est réduit à un entre-temps, à une parenthèse de veille entre sa mort et sa revenue. Après lui, plus personne n’est résident, nous sommes tous des hôtes en attente de visa. » Et c’est la foi, la foi reçue, la foi vécue qui nous l’a déjà accordé.

Publié le 30 mai 2025

Le credo partie 3

religious stained glass

« Je crois en l’Esprit Saint. »

On parlait plus volontiers autrefois du « Saint-Esprit », on semble préférer aujourd’hui l’expression « Esprit Saint ». Pourquoi ? Sans doute pour ne pas en faire un saint de plus, entre « Saint-Antoine » et « Sainte-Rita »… L’Esprit Saint, en effet, domine de très haut toutes les créatures, comme nous le verrons dans les prochains articles.
Il n’est pas non plus un accessoire au milieu de tout ce qui semble avoir été accumulé à la fin du texte du Credo : les prophètes, l’Eglise, le baptême, la résurrection, la vie du monde futur, etc. Notre Profession de foi reste bien trinitaire, dans ce qu’elle confesse du Père, puis du Fils, enfin du Saint-Esprit dont toute la fin du Credo explicite l’action : si elle évoque les prophètes, c’est parce qu’ils sont inspirés par l’Esprit Saint, l’Eglise, parce que l’Esprit Saint est comme son ciment, les sacrements, parce que c’est l’Esprit Saint qui en est l’agent, la résurrection, parce que c’est encore lui qui est le souffle qui nous redonnera vie, etc.
Le mot « Esprit » lui-même est encore une source d’ambiguïté, heureusement encore que nous ne le traitons pas de « fantôme », comme les Anglais pour lesquels il est « the Holy Ghost » ! Il ne s’agit pas bien sûr, d’un esprit qui hanterait le monde, pas plus de l’esprit de Jésus-Christ, ni de celui de l’évangile, comme on parle de l’esprit de la Constitution. Certains ont voulu en faire la relation entre le Père et le Fils Eternel, mais une relation n’a jamais été une personne ! Dire qu’il est l’Amour au sein de la Trinité ne convient pas d’avantage, car on peut en dire autant de chacune des Personnes divines…
Ainsi, chaque fois qu’on a voulu le définir, il s’est comme échappé à la compréhension de ceux qui voulaient le saisir, et c’est bien en cela qu’il est « Esprit ».
La meilleure image reste encore celle que nous offre le Christ quand il explique au vieux Nicodème le mystère de la Résurrection : « Le vent souffle où il veut : tu entends le bruit qu’il fait, mais tu ne sais pas d’où il vient ni où il va. Il en est ainsi de tout homme qui est né du souffle de l’Esprit. » (Jn III 8).
La traduction du mot « esprit » en hébreu (rouah) , en grec (πνευμα), en latin (spiritus) désigne aussi le souffle, le vent. Nous verrons comment cette réalité traverse toute l’Ecriture et nous fait percevoir quelque chose de l’identité de l’Esprit Saint à travers ce que nous voyons de son activité … tout comme le vent.

Le souffle (ou le vent), nous l’avons vu, semble être une image adéquate pour évoquer ce qu’est l’Esprit Saint.
Son usage est, en tout cas, consacré par son emploi régulier au fil des pages de la Sainte Ecriture. Il est déjà amusant de voir que ce mot, masculin en latin ou en français, est féminin en hébreu et neutre en grec ! Bien avant qu’il ne nous soit révélé par Jésus-Christ (les Juifs ne le connaissent pas comme personne divine), il apparaît dès le deuxième verset de la Bible où « l’Esprit planait sur les eaux » de la Création, traduit par l’antique bible grecque par « souffle de Dieu ». Un peu plus tard, c’est en insufflant son souffle de vie dans ses narines, que Dieu crée l’être humain. De la même façon, le Christ ressuscité recrée la nouvelle humanité en soufflant sur ses apôtres au soir de Pâques, lorsqu’il leur dit : « recevez l’Esprit Saint ».

Le Seigneur Jésus emploie une autre image en nous promettant le « Paraclet » (Jn XIV 16, 26, XV 26, XVII 7), mot grec qui signifie « celui qui console », ou « celui qui intercède », l’« avocat ». On pourrait même traduire par le terme juridique d’ « avoué ». L’avoué avait pour office (la profession a récemment disparu …) de représenter les justiciables, d’être à leurs côtés, comme l’Esprit Saint désormais envoyé à l’humanité pour représenter sa dignité restaurée et maintenir ses droits. Ecoutons Jésus nous révéler l’existence de cet Esprit distinct de lui et du Père mais qui partage leur éternité et leur puissance :
“Et moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre Paraclet afin qu’il demeure éternellement avec vous”. (Jn XIV 16), “l’Esprit de vérité, le monde ne le voit pas et ne le connaît pas, il sera en vous” (Jn XIV 17). « L’Esprit Saint, que le Père enverra en mon nom, vous rappellera tout ce que je vous ai dit, il me glorifiera” (Jn XIV 26, XVI 14).

L’Esprit Saint est donc celui qui habitera désormais et pour toujours l’humanité rachetée par le Christ et actualisera dans l’histoire de l’Eglise l’enseignement du Seigneur, il est encore celui qui animera la louange et la prière qui montent vers Jésus-Christ, qui lui semble inséparable. Contrairement à la tentative de mystiques mal inspirés – au cours du Moyen-Age notamment – à l’ « âge du Père » n’a pas succédé celui du Fils puis celui de l’Esprit Saint : c’est la Trinité tout entière qui est à l’œuvre quand l’Esprit nous ouvre au Verbe éternel, selon la volonté du Père.

« Je crois en l’Esprit Saint qui est Seigneur et qui donne la vie. »

Nous l’avons déjà vu pour Jésus, le Verbe de Dieu incarné auquel le Credo donne le même titre de « Seigneur » : cette appellation qui se traduit en grec par « Kyrios » (celui de notre « Kyrie eleison ») désigne Dieu, c’est la traduction du nom imprononçable YHWH sous lequel Dieu s’est révélé à Moïse au buisson ardent.
L’Esprit Saint est Dieu, au même titre que le Père et que le Fils, comme Jésus le révèle en proclamant son éternité (Jn XIV 16) et son lien tout particulier avec le Père et le Fils (Jn XIV 26, XVI 14). Non pas un « troisième Dieu » (!), pas d’avantage une simple « facette » du Dieu unique, mais bien le seul vrai Dieu dont il nous est révélé qu’il est Trinité : trois Personnes distinctes dans l’unité de leur nature, ce que nous ne pouvions découvrir par nous-mêmes et que nous ne pouvons pas faire rentrer dans les catégories qui nous sont actuellement accessibles, il faut bien l’avouer.
Quand le Credo ajoute que l’Esprit Saint « donne la vie » il ne nous permet pas de le distinguer non plus du Père et du Fils car la Trinité tout entière est source de vie. Néanmoins les nombreux symboles par lesquels il est exprimé dans l’Ecriture l’associent explicitement au don de la vie divine :
l’eau (eaux de la Création, eau qui coule du cœur du Christ crucifié, eau du baptême), le feu (feu de la parole des prophètes, feu qui purifie les sacrifices, feu qui ne consume pas le buisson ardent et consacre la virginité de Marie, langues de feu de la Pentecôte).
Ainsi, plus que le substantif « vie », c’est le verbe « donne » qui semble mieux exprimer l’Esprit Saint, appelé aussi le « don de Dieu » : c’est la formule liturgique employée par l’évêque au jour de notre confirmation : « Reçois l’Esprit Saint, le don de Dieu ». « Dieu est amour » nous dit saint Jean (1Jn IV 8,16) et cet amour « Dieu l’a répandu dans nos cœurs par l’Esprit qui nous fut donné. » (Rom V 5).
L’Esprit est « don de Dieu » parce qu’il vient de Dieu mais il l’est aussi parce qu’il est Dieu qui se donne.

« Il procède du Père et du Fils. »

Nous sommes devant l’une des affirmations les plus controversées du Credo même si nous la prononçons chaque dimanche sans sourciller car elle ne nous dit pas grand chose, à nous aujourd’hui, et pourtant…

Elle s’enracine dans une parole du Christ : « Lorsque viendra le Paraclet que je vous enverrai d’auprès du Père, l’Esprit de vérité qui procède du Père, il rendra lui-même témoignage de moi » (Jn XV 26). Le Credo du concile de Nicée (325) confirmé par celui de Constantinople (381) pourra ainsi affirmer : « Nous croyons en l’Esprit-Saint, qui est Seigneur et qui donne la vie, qui procède du Père, qui a parlé par les Prophètes, qui avec le Père et le Fils est adoré et glorifié »

D’où vient donc que les Occidentaux disent aujourd’hui : « qui procède du Père et du Fils », alors que les Orientaux s’en tiennent à la formule originaire, sans la mention du Fils (ce qui constitue entre orthodoxes et catholiques une pomme de discorde non négligeable, surtout en Orient) ?
C’est l’Église espagnole qui introduisit la première cette modification, après le concile de Tolède de 589 qui visait à réagir contre l’arianisme qui la menaçait. Cette mention du « Filioque » (traduction latine de l’ajout « et du Fils ») passa ensuite en Gaule. En atteignant Jérusalem (807) l’innovation va mettre en branle les oppositions historiques entre le patriarche de Constantinople, qui préfèrerait dire que le Saint Esprit « procède du Père par le Fils », l’empereur d’Occident (Charlemagne) qui soutient la modification et le pape, qui s’en tient à l’usage traditionnel.
Et c’est finalement Charlemagne qui l’imposa au concile d’Aix-la-Chapelle en 809, au moins pour ceux qui lui étaient soumis : Rome ne l’entérinera qu’au XIème siècle, après mûre réflexion. Mais jusqu’à ces dernières années le « Filioque » représentera pour les orthodoxes un argument pour dénoncer une modification unilatérale de la foi commune et originelle de l’Eglise et donc l’hétérodoxie (foi erronée) des catholiques, alors que les Occidentaux moins frottés de théologie et peut-être moins subtils n’y voyaient pas là de quoi alimenter une querelle…

Nous non plus et nous ne voyons pas bien le sens ni l’intérêt de toute cette histoire. Alors peut-être faut-il nous poser la question de la signification profonde de ces formules et aller un peu plus loin, ce que nous ferons au chapitre suivant !

Dans le cadre de la recherche de l’unité des chrétiens, parut en 1995 un document romain intitulé « Les traditions grecque et latine concernant la procession du Saint-Esprit » où l’Eglise catholique reconnaît le texte grec originel du concile de Constantinople comme la norme irréformable de la foi (d’ailleurs, en grec, on a toujours utilisé la formule traditionnelle à Rome) : dans la Trinité le Père est l’unique source.
Mais si la tradition orientale exprime d’abord le caractère d’origine première du Père par rapport à l’Esprit, la tradition occidentale quant à elle exprime d’abord la communion consubstantielle entre le Père et le Fils. « Cette légitime complémentarité, si elle n’est pas durcie, n’affecte pas l’identité de la foi dans la réalité du même mystère confessé » (Catéchisme de l’Église, n. 248).
Quel est ce caractère trinitaire que la personne du Saint-Esprit apporte à la relation même entre le Père et le Fils ? Le Père est l’amour dans sa source (2 Co 13, 13 ; 1 Jn 4, 8. 16), le Fils est « le Fils de son amour » (Col 1, 14). « L’Esprit-Saint qui a répandu dans nos cœurs l’amour de Dieu » (Rm 5, 5) est le Don éternel du Père à son « Fils bien-aimé » (Mc 1, 9 ; 9, 7 ; Lc 20, 13 ; Ép 1, 6). L’amour divin qui a son origine dans le Père repose dans « le Fils de son amour » pour exister par celui-ci dans la personne de l’Esprit. Cela rend compte du fait que l’Esprit-Saint oriente toute la vie de Jésus vers le Père dans l’accomplissement de sa volonté. Le Père envoie son Fils (Ga 4, 4) quand Marie le conçoit par l’opération du Saint-Esprit (Lc 1, 35). Celui-ci manifeste Jésus comme Fils du Père au baptême en reposant sur lui (Lc 3, 21-22 ; Jn 1, 33). Il pousse Jésus au désert (Mc 1, 12). Jésus en revient « rempli du Saint-Esprit » (Lc 4, 1), puis il commence son ministère « avec la puissance de l’Esprit » (Lc 4, 14). Il tressaille de joie dans l’Esprit en bénissant le Père pour son dessein bienveillant (Lc 10, 21). Il choisit ses apôtres « sous l’action de l’Esprit-Saint » (Ac 1, 2). Il expulse les démons par l’Esprit de Dieu (Mt 12, 28). Il s’offre lui-même au Père « par un Esprit éternel » (He 9, 14). Sur la Croix il « remet son Esprit » entre les mains du Père (Lc 23, 46). C’est « en lui » qu’il descend aux Enfers (1 P 3, 19) et c’est par lui qu’il est ressuscité (Rm 8, 11) et «établi dans sa puissance de Fils de Dieu » (Rm 1, 4). L’Esprit, tout en découlant du Fils dans sa mission, est celui qui introduit les hommes dans la relation filiale du Christ à son Père, car cette relation ne trouve son caractère trinitaire qu’en lui : « Dieu a envoyé dans nos cœurs l’Esprit de son Fils qui crie : Abba, Père ! » (Ga 4, 6). Dans le mystère du salut et dans la vie de l’Église, l’Esprit fait donc beaucoup plus que prolonger l’œuvre du Fils. En effet, tout ce que le Christ a institué – la Révélation, l’Église, les sacrements, le ministère apostolique et son magistère – requiert l’invocation constante de l’Esprit-Saint et son action pour que se manifeste « l’amour qui ne passe jamais » (1 Co 13, 8) dans la communion des saints à la vie trinitaire.

« Avec le Père et le Fils, il reçoit même adoration et même gloire ; il a parlé par les prophètes »

C’est ici l’affirmation de la foi en la Trinité Sainte : entre les trois Personnes divines qui ne sont qu’un seul Dieu, n’existe aucune hiérarchie et elles ne se distinguent que dans le rapport d’amour incessant qui les lie entre elles.
Si, dans l’activité de Dieu c’est toujours la Trinité tout entière qui est à l’œuvre, il est souligné dans ce qui va suivre que sans l’Esprit Saint rien de tout cela ne serait possible, à commencer par l’inspiration (toujours l’image du souffle…des Ecritures. Par le terme « les prophètes », on désigne toute la révélation qui a précédé le Christ et qui conduit à lui, en un mot : l’Ancien Testament. Nous avons déjà vu que pour le Nouveau Testament qui est l’expression même du Christ, Verbe de Dieu, Jésus lui-même avait annoncé que ce serait le même Esprit Saint qui le rendrait intelligible aux générations successives.
A ce sujet, la foi nous fait tenir deux choses complémentaires :
1/ l’Ecriture a Dieu pour auteur, elle est donc à ce titre l’expression de la vérité et non pas seulement en matière de foi et de mœurs. Ainsi exige-t-elle du croyant un respect absolu et une soumission du cœur et de l’intelligence.
2/ elle est en même temps le produit d’écrivains sacrés tributaires de leur culture ; déjà saint Thomas d’Aquin écrivait : « Dans l’Ecriture, les choses divines nous sont transmises selon le mode dont les hommes ont coutume d’user. » Il ne faut donc pas imaginer que l’Ecriture serait littéralement tombée du ciel ou qu’elle ait été apportée mystérieusement par un ange, pas plus que dictée en mode d’écriture automatique. L’énorme travail exégétique des XIX-XXème siècle a dégagé dans les textes sacrés ses différentes sources, comme dans un chantier archéologique et les influences qui l’ont façonnée. Pie XII résume l’enseignement de ses prédécesseurs (dont Benoît XV qu’il cite) en affirmant que l’auteur sacré, « en composant le Livre Saint, est instrument de l’Esprit Saint, mais instrument vivant et doué de raison ; conduit par la motion divine, il use cependant de ses facultés et de ses forces, de telle manière que l’on peut facilement saisir dans le livre, composé par lui, ” son caractère particulier et, pour ainsi dire, ses traits et linéaments personnels ” » (encyclique Divino afflante Spiritu).
D’où la nécessité d’une continuelle recherche qui fasse appel aux ressources de toutes les sciences, et le recours à l’interprétation autorisée de l’Eglise, qui, à la suite des Pères, est capable d’en discerner le sens.

« Je crois en l’Eglise, une, sainte, catholique et apostolique. »

Après « Dieu le Père, son Fils et l’Esprit Saint », il ne s’agit pas là de la quatrième personne de la Trinité ! Nous sommes toujours dans la contemplation de l’œuvre de cet Esprit qui est comme le ciment de l’Eglise, sans lequel elle ne serait qu’une organisation parmi d’autres : comme il est à l’œuvre en Marie au jour de l’Incarnation, l’Esprit Saint opère en chacune des pierres vivantes que nous sommes l’édification du « Corps mystique du Christ ».
Le mot grec « Ekklesia » désigne une assemblée, il donnera ensuite son nom au bâtiment où se réunit la communauté chrétienne (ce qui en dit long sur la différence entre le culte païen dont l’édifice sacré est le temple et la foi chrétienne qui, par le baptême, fait du fidèle un temple de l’Esprit Saint).
« Une, sainte, catholique et apostolique » sont les quatre « notes » qui caractérisent l’Eglise, peuple de Dieu.
« Une » : la prière du Christ pour l’unité de son Eglise est connue. L’Eglise se constitue autour de la personne du Christ qui en fait l’unité : elle n’a rien d’une unité consensuelle qui établirait un lien extérieur entre personnes partageant les mêmes convictions ou les mêmes valeurs. Le retour au Christ et à son message a toujours été la réponse la plus adaptée aux forces de divisions que ne cesse de susciter le « Diviseur » (Diabolos). Que l’Eglise ait succombé parfois à ces forces et que ceux qui se réclament du Christ soient aujourd’hui séparés n’empêche pas que l’Eglise est une en son essence. Notre communion dans la foi n’est possible qu’en fonction de la réalité unique qui en est le cœur, et de notre proximité avec elle.
« Sainte » : voilà qui fait toujours réagir quand on considère les péchés des clercs (sans parler des fidèles…) ! Là encore, ce qui la défigure n’empêche pas celle que le Christ a enfanté d’être belle et d’avoir vocation à le rester ou à le redevenir. Nous qui sommes pécheurs, n’avons-nous pas gardé, comme un appel intérieur, la sainteté de notre baptême qui ne demande qu’à être revivifiée par les sacrements ? Les membres de l’Eglise primitive s’appelaient « les saints » comme en témoignent les lettres de saint Paul, avons-nous perdu de vue notre vocation à la sainteté ? Ceux que l’Eglise a reconnus officiellement comme tels sont là pour nous la rappeler et pour nous dire que c’est possible !

« Catholique » : le mot n’a pas ici le sens restrictif de chrétien non-orthodoxe ou non-protestant, mais le sens étymologique d’« universel » ; plusieurs fois je l’ai ainsi entendu proclamer par des pasteurs protestants sans aucune réserve. L’Eglise doit être « orthodoxe » c’est-à-dire professant une juste doctrine, elle doit être aussi « catholique » en ce sens que la foi qu’elle propose doit être universelle. L’honneur revient à un moine de Lérins d’avoir formulé cela en des termes demeurés célèbres : en 434 saint Vincent de Lérins rappelle la règle d’or de la catholicité orthodoxe : ne croire et n’enseigner que « ce qui a été cru partout, toujours et par tous. » En effet, la Vérité est le Christ qui est « le même hier, aujourd’hui et éternellement » (Heb XIII 8). Cela n’exclut pas que la foi puisse se développer et se dire avec des mots nouveaux ni que des opinions divergentes puissent se faire entendre parfois, mais le contenu de la foi, s’il se veut authentique, ne peut qu’être en consonance avec l’évangile, avec les Pères de l’Eglise, avec le sentiment chrétien tel qu’il s’est toujours exprimé et qu’il s’exprime aujourd’hui dans un large consensus, qui dépasse donc les frontières du temps et de l’espace.
Eglise catholique et Eglise universelle…     
Peut-on croire que cette Eglise universelle et unanime n’existe pas ici-bas (voire ne puisse jamais exister), et qu’elle ne serait qu’une réalité virtuelle ou qu’elle consisterait dans la somme de tous ceux qui se disent chrétiens et qui formeraient ainsi l’unique et véritable « Eglise catholique » sans véritables contours ni définition précise ? Certainement pas !
Notre appellation de « catholiques » est-elle usurpée ? Pas d’avantage, répond le concile Vatican II avec cette précision d’importance : « C’est là l’unique Église du Christ, dont nous professons dans le symbole l’unité, la sainteté, la catholicité et l’apostolicité, cette Église que notre Sauveur, après sa résurrection, remit à Pierre pour qu’il en soit le pasteur (Jn 21, 17), qu’il lui confia, à lui et aux autres Apôtres, pour la répandre et la diriger (cf. Mt 28, 18, etc.) et dont il a fait pour toujours la « colonne et le fondement de la vérité » (1 Tm 3, 15). Cette Église comme société constituée et organisée en ce monde, c’est dans l’Église catholique qu’elle subsiste, gouvernée par le successeur de Pierre et les évêques qui sont en communion avec lui, bien que des éléments nombreux de sanctification et de vérité se trouvent hors de sa sphère, éléments qui, appartenant proprement par le don de Dieu à l’Église du Christ, portent par eux-mêmes à l’unité catholique. » (const. Lumen Gentium)

« Apostolique » : l’Eglise est fondée sur le témoignage exclusif des apôtres : ce que nous savons de Jésus, nous le savons par leur enseignement dont les évangélistes sont les porte-parole, ainsi la Révélation que Dieu nous a donnée de lui en Jésus-Christ est close à la mort du dernier apôtre.
Cependant ce message reste vivant et s’incarne en s’actualisant dans une communauté dont les successeurs des apôtres que sont les évêques sont les chevilles ouvrières.
D’ailleurs la « succession apostolique » est un des éléments qui conditionnent la validité de leur ministère : pour qu’un évêque puisse guider de manière autorisée le peuple de Dieu il faut déjà qu’il ait été ordonné évêque par un évêque qui l’a été par un précédent qui l’a été lui-même, etc. : et à l’origine de cette généalogie épiscopale, on doit retrouver un évêque ordonné par un apôtre même. C’est ainsi qu’un fameux site américain « catholic-hierarchy.org » reconstitue depuis des années les « ascendants » des quelques 5233 évêques vivant aujourd’hui.

L’Esprit-Saint est bien à l’œuvre dans la cohésion de cette immense famille qu’est l’Eglise ; il l’est encore dans la juste façon de l’ « habiter » qui doit être la nôtre. L’adage de saint Cyprien de Carthage (200-258) : « Hors de l’Eglise pas de salut » demeure valide, qui dit que le Christ est l’unique Sauveur des hommes, qu’il s’est uni de manière irréversible à son Eglise et que c’est à travers elle, son témoignage et son action que le Seigneur continue de se donner, cependant, comme le rappelait le pape Benoît XVI le 1er octobre 2000, « Notre confession du Christ comme Fils unique, en qui nous voyons le visage du Père (cf. Jn XIV, 8), n’est pas arrogance qui méprise les autres religions, mais joyeuse reconnaissance parce que le Christ s’est montré à nous sans aucun mérite de notre part. Et, dans le même temps, il nous a demandé de continuer à donner ce que nous avons reçu et aussi à communiquer aux autres ce qui nous a été donné, parce que la Vérité donnée et l’Amour qui est Dieu appartiennent à tous les hommes. Avec l’apôtre Pierre, nous confessons que « son Nom, donné aux hommes, est le seul qui puisse nous sauver » (Ac IV, 12). » Ainsi que l’Esprit-Saint a chargé de fruits innombrables le labeur des apôtres, nous pouvons croire que l’œuvre de l’Eglise dépasse mystérieusement ce que nous percevons aujourd’hui de sa fécondité, par la puissance de ce même Esprit.

« Je reconnais un seul baptême pour le pardon des péchés. »

Des sept sacrements institués par le Christ où opère l’Esprit-Saint, le premier est déterminant : il est celui qui définit l’entrée dans l’Eglise et assure la communion de tous ceux qui ont été, sont et seront baptisés « au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit ».
« Un seul » : il ne peut y avoir deux baptêmes pour le même individu, il ne peut y avoir non plus des propositions diverses : le geste est simple (verser de l’eau sur la tête, au minimum ou plonger tout entier dans l’eau), la formule est restée la même depuis toujours, elle est unique (« N., je te baptise au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit »). Rien n’est plus accessible : comme le pardon de Dieu… Pas besoin de lieu spécifique, pas besoin de personne consacrée non plus, en cas de nécessité : homme ou femme, chrétien ou non, toute personne peut baptiser validement en faisant ce que l’Eglise veut faire par ce rite. Peut-on d’avantage exprimer le désir ardent de Dieu de voir tout être s’ouvrir au salut par cette démarche qui ne requiert rien, que la bonne volonté ?
En effet, Dieu en est l’acteur premier : c’est l’Esprit Saint qui suscite le désir de la foi, c’est lui qui la donne dans l’acte du baptême, c’est Dieu qui communique sa vie, c’est Dieu qui réconcilie alors l’homme né si loin de lui parce qu’un jour nos pères ont fait ce choix…
« Pour le pardon des péchés » : mystère de la liberté, condition indispensable à l’amour, qui a conduit l’homme à se choisir lui-même à l’aube de la Création, plutôt que d’accepter Dieu ; c’est le péché originel où Adam et Eve ont mangé « du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal », c’est-à-dire n’ont pas accepté de tenir d’un Autre la définition du chemin qui conduit au bonheur. Et depuis, l’homme est conçu hors de la maison paternelle, loin de l’harmonie originelle ; cependant, comme le père de l’Enfant prodigue, Dieu ne cesse de sortir à la recherche de l’homme : le Seigneur sort (Mt XX 1 sq). Après avoir envoyé ses prophètes, Dieu envoya son propre Fils (Mt XXI 37) et s’il fut rejeté lui-aussi, il nous obtint le pardon sur la Croix. Pour autant, le Seigneur n’a jamais renoncé à nous vouloir libres : le choix individuel et personnel (même à travers celui de personnes responsables comme les parents d’un bébé) est l’expression nécessaire de l’accueil du pardon opéré par la Croix. Sans cela, le sang du Christ a coulé en vain pour moi…
Oui, « celui qui croira et sera baptisé sera sauvé » (Mc XVI 16), car hors de moi, vous ne pouvez rien faire » (Jn XV 5), dit le Seigneur. Notons enfin que si Dieu est l’acteur, il ne se passe pas de notre adhésion consciente et de notre engagement (« celui qui croira »), ne réduisant pas le baptême à un acte simplement externe et magique.

« J’attends la résurrection des morts »

Notre foi est tournée vers l’avenir, où Dieu nous garantit que nous aurons notre place. Or nous savons de façon certaine que notre parcours terrestre s’achèvera par la mort physique et la destruction plus ou moins lente de notre corps (à moins que le Seigneur soit de retour avant !). Notre participation au monde futur passe donc nécessairement par la résurrection.
Là-encore, c’est l’Esprit-Saint qui est à l’œuvre comme en témoigne la vision d’Ezéchiel (XXXVII 1-14) : « L’esprit du Seigneur m’emporta, et je me trouvai au milieu d’une vallée qui était pleine d’ossements. (…) Le Seigneur me dit : «Prononce un oracle sur ces ossements : Ossements desséchés, écoutez la parole du Seigneur, je vais faire entrer en vous l’esprit, et vous vivrez. (…) Tu vas dire à l’esprit : Ainsi parle le Seigneur Dieu : Viens des quatre vents, esprit ! Souffle sur ces morts, et qu’ils vivent ! » Je prophétisai et l’esprit entra en eux ; ils revinrent à la vie, et ils se dressèrent sur leurs pieds. Puis le Seigneur me dit : « (…) Adresse-leur cet oracle : Ainsi parle le Seigneur Dieu : Je vais ouvrir vos tombeaux et je vous en ferai sortir, ô mon peuple, et je vous ramènerai sur la terre d’Israël. (…) Je mettrai en vous mon esprit, et vous vivrez (…) : je l’ai dit, et je le ferai. »
La participation de notre corps à la vie future s’impose dès lors qu’on accepte de considérer, comme le fait l’Ecriture sainte, que l’être humain ne se contente pas d’être un esprit provisoirement prisonnier d’un corps mais que ces deux composantes sont constitutives de notre identité. Jésus l’affirme clairement face à l’ironie de ses contradicteurs qui lui opposent les objections faciles que le monde ne cesse d’entretenir à cet égard (Lc XX 27-40). Sa propre résurrection physique l’atteste et répond partiellement à nos interrogations sur la nature de notre « corps glorieux », qui honore à la fois la continuité d’avec le corps physique antérieur (il ne peut y avoir de reliques des corps de Jésus ou de Marie qui sont entrés déjà dans le monde à venir) et la rupture due à la nature radicalement autre de cette nouvelle réalité qui nous échappe nécessairement.
Déjà Job le proclamait : « Après qu’on aura détruit cette peau qui est mienne, c’est bien dans ma chair que je contemplerai Dieu. « (XIX 26)
Sans étancher totalement notre curiosité, la foi nous invite à la confiance : à notre mort, notre âme est susceptible de voir Dieu face à face (« jugement particulier »). En considérant les choses de notre point de vue temporel (mais non pour Dieu pour lequel « mille ans est comme un jour »), notre corps entrera lui aussi dans la Création nouvelle quand, à son retour, le Christ inaugurera le monde futur (« Jugement dernier »).

« Et la vie du monde à venir. Amen.»

Il est normal que le Credo s’achève par cet acte de foi et d’espérance qui soutient la marche de l’Eglise et de l’histoire vers son achèvement. Le chrétien n’est pas celui qui regarde en arrière en faisant mémoire du passé, mais celui qui est déjà le témoin du « monde à venir ». Que sera-t-il ? Il sera inauguré par le retour glorieux et définitif du Christ. Le jugement dernier qu’il présidera (Mt XXV 31-46) mettra en lumière le choix ou le refus de chacun face à Celui qui est : c’est ce qu’on appelle le « Paradis » et l’ « Enfer », expression de l’amour de Dieu qui respecte la liberté de ses enfants. Sans cela, l’existence de l’homme ne serait qu’une farce et l’être humain lui-même, un pantin entre les mains du grand marionnettiste. A quoi bon satisfaire encore là notre curiosité puisque nos capacités présentes sont inaptes à cerner une réalité qui les dépasse, y compris dans sa dimension inassimilable d’éternité ? Tout au plus, devons-nous nous contenter des paraboles que le Christ multiplie pour nous enseigner et nous avertir ; évoquant les victimes innocentes de la violence des hommes ou des accidents de la nature, il affirme : « Pensez-vous qu’ils étaient de plus grands pécheurs que tous les autres, pour avoir subi un tel sort ? Eh bien non, je vous le dis ; et si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous comme eux. Pensez-vous que ces personnes étaient plus coupables que tous les autres ? Eh bien non, je vous le dis ; et si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de la même manière » (Lc XIII 2-5). Qui sommes-nous pour imposer à Dieu, au nom d’une bonté falsifiée ou d’une conception corrompue de la justice, l’obligation de ne tenir aucun compte de notre propre vie et de refuser ce jugement ? Depuis des siècles, des hommes ont rêvé à un happy end illustré par un célèbre refrain « on ira tous au paradis », coup de baguette magique propre à flatter notre médiocrité mais qui réduit à rien la liberté et la responsabilité des créatures. Depuis le deuxième concile de Constantinople l’Eglise a condamné pareille fantaisie que son appellation théologique technique d’«apocatastase» ne suffit pas à rendre crédible.
Cependant le dernier mot est bien à l’espérance pour tous ceux qui mettent leur foi en Jésus, Fils de Dieu, car il nous a sauvés ! Et cette espérance donne un sens tout particulier à notre présent, comme le note l’inclassable écrivain Erri De Luca : « Après le Christ, le temps s’est réduit à un entre-temps, à une parenthèse de veille entre sa mort et sa revenue. Après lui, plus personne n’est résident, nous sommes tous des hôtes en attente de visa. » Et c’est la foi, la foi reçue, la foi vécue qui nous l’a déjà accordé.

Dans ce dossier

Le credo partie 3

« Je crois en l’Esprit Saint. » On parlait plus...
Lire l’article →

Le credo partie 2

« Je crois en un seul Seigneur, Jésus-Christ » C’est...
Lire l’article →

Le credo partie 1

En cette année qui marque le 1300ème anniversaire du premier...
Lire l’article →

Publié le 30 mai 2025