Témoignage de Jacques – Cénacles
TÉMOIGNAGE – CENACLE de Jacques
D’aussi loin que je me souvienne, j’ai alors 2 ans ou 2 ans et demi, le Christ m’a toujours été familier, et a toujours fait partie de mon intimité. Selon le centre national de ressources textuelles et lexicales, le terme familier lorsqu’il se rapporte à un être divin définit aussi une relation de conseil et de protection. C’est cette sensation de protection que je ressens de la part du Christ, même aussi jeune. A cette époque, ma mère me confie, avant d’aller travailler, à mon arrière grand-mère qui vit chez mes grands parents. Celle-ci, tous les jours de la semaine, se rend à l’église et m’emmène avec elle. Chemin faisant, nous saluons et échangeons quelques mots avec les prêtres et sœurs que nous croisons à l’occasion et, encouragé par mon arrière grand-mère, j’embrasse leur crucifix avant de reprendre notre route. C’est une autre époque. A l’église, mon arrière grand-mère m’explique avec des mots simples, teintés de son accent espagnol, le « pétit Yésus ». A la sortie, nous allons au square où je joue sur des balançoires et dans le bac à sable. Ces petites habitudes règleront mes journées jusqu’au déménagement de mes parents à une vingtaine de kilomètres et le décès, quelques mois plus tard je crois, de mon arrière grand-mère. J’ai alors 4 ans et demi, ou peut-être un peu plus.
Mes parents et mes grands-parents ne sont pas pratiquants. Ma première école primaire n’en sera pas moins une école dirigée par des sœurs. A 8 ans, j’entre dans un pensionnat privé non confessionnel mais qui, comme beaucoup d’écoles privées à l’époque, propose un enseignement religieux catholique que je suis avec assiduité ; je suis fier des « bons points » que j’obtiens (les bons points correspondaient à un système de récompense). Dans ce cours de catéchisme, les élèves de ma tranche d’âge se préparent à faire leur première communion. Le jour venu, au dernier moment – je crois me souvenir que les élèves se mettaient en rang dans la cour de l’établissement pour se diriger vers l’église – le prêtre m’informe de façon péremptoire que je ne pourrai communier car il manque mon certificat de baptême (en fait, j’ai été ondoyé quelques jours après ma naissance à l’hôpital intercommunal de Créteil, qui était alors une petite ville au centre-ville bien circonscrit au milieu duquel se trouvait et se trouve encore aujourd’hui l’église Saint-Christophe que je fréquenterai plus tard avec mon arrière grand-mère ; et cela suffit à mes parents). Quelque soit la raison administrative ou autre qui fut à l’origine de la décision du prêtre, elle eut pour conséquence de me blesser profondément et de m’éloigner de l’église, mais heureusement pas du Christ. Malgré tout, dès l’adolescence je lis et je regarde, et continue encore aujourd’hui, les documents écrits et télévisuels sérieux dont j’ai connaissance qui parlent du Christ, que ces documents proviennent ou non de médias chrétiens. Pendant toutes ces années, mes visites à l’église sont rares et se limitent à quelques occasions particulières, tel que le baptême de mes fils, mais sont toujours marquées par un recueillement profond devant le Christ.
Octobre 2015, durant une période de réserve que j’effectue au service de santé des armées, j’échange sur la religion et sur la Foi avec mon ami Jean-Jacques, responsable de l’unité de recherche biomédicale à laquelle je suis affecté. Il découvre me dit-il ma relation avec le Christ. Au cours de nos conversations, il me parle des groupes alpha et particulièrement du groupe alpha de la paroisse de La Garde auquel il participe. Ce même mois, je me rends dans à l’église (sans qu’une occasion particulière m’y amène) pour prier et communier avant d’aller suivre une formation parachutiste avec l’US Army et l’US Navy, et m’engage ce jour là devant le Christ à y retourner régulièrement ; ce que je fais dès mon retour à mon domicile vers mi-octobre 2015, une fois ma période de réserve au sein du service de santé des armées terminée. Il s’agit pour moi – ou du moins c’est comme ça que je le ressens – d’un renouement, qui me procure joie et réconfort, et une certaine sérénité (j’ai encore beaucoup de chemin à parcourir dans ce domaine).
Début novembre 2015, de vives douleurs stomacales et autres signes m’amènent à consulter mon médecin généraliste qui m’envoie aux urgences de l’hôpital. Après quelques heures et plusieurs examens, le diagnostic m’est annoncé : cancer à adénocarcinomes d’origine biliaire de l’ampoule de Vater. La tumeur obstrue le canal du pancréas et le canal de la vésicule biliaire. Malgré mes prières, des examens complémentaires révèlent qu’aucune chirurgie n’est envisageable du fait de la présence de métastases au foie. Le pronostic vital me donne un an.
De retour à la maison, mon organisme s’affaiblit et je perds rapidement un dizaine de kilos. J’annonce la nouvelle à mes deux fils de 12 ans. Ma tristesse est immense, pas pour moi je n’ai aucune colère, mais pour Hélène, ma compagne, et mes fils dont l’avenir et le devenir m’inquiètent plus que tous les mots ne sauraient l’exprimer : mon sentiment est celui d’une peur panique. Je prends contact avec mon ami Jean-Jacques pour me renseigner sur les possibilités d’emploi pour Hélène au sein de l’institut de recherche biomédicale des armées; je préviens mes parents pour essayer d’organiser l’avenir; Hélène prévient ses parents et ses frères. Hélène et moi prenons la décision de nous unir devant Dieu. Le vicaire de notre paroisse réunit très rapidement les documents nécessaires et nous unis en présence de nos deux fils; nos témoins sont le curé et l’agente pastorale de notre paroisse.
Mi-janvier, mon traitement de chimiothérapie commence. Combinée à l’alimentation très riche en calories que me prépare avec dévouement ma femme, elle permet à mon organisme de se « stabiliser », de reprendre progressivement les kilos perdus et même beaucoup plus car les effets secondaires de la chimiothérapie qui m’est donnée rendent impossible ou presque la pratique du sport qui était auparavant partie intégrante de ma vie (10 km de course 5 jours par semaine et trois séances de « musculation » d’entretien par semaine). Sur le plan professionnel, je ne renonce à aucun des projets de recherche dont j’ai la responsabilité, notamment au sein du service de santé des armées, et redouble même de travail à l’étonnement de Jean-Jacques.
Tous les soirs, je prie, pour les malades du cancer que je croise dans le service de cancérologie de l’hôpital où je suis traité (mes compagnons de lutte), pour mes parents, mon oncle et mes tantes, la famille d’Hélène, pour mes amis et mes enfants, et pour demander au Christ et à la vierge Marie de m’aider à supporter ma chimiothérapie et à vaincre mon cancer afin de garder notre famille (Hélène, mes fils, et moi-même) unie. Je remercie mon arrière grand-mère de m’avoir « expliqué » le Christ. D’autres prient pour moi, notamment : ma femme, mes fils, ma mère, mon ami Jean-Jacques et le Cénacle Abba composé de quelques personnes issues du groupe alpha de la paroisse de La garde qui se réunit régulièrement chez Christine et Gilles. D’autres personnes, non croyantes, me soutiennent par la pensée. Un de mes amis profondément affecté s’excuse de devoir prendre de la distance ; il prendra de mes nouvelles quelques mois plus tard. Mon père me soutient et m’encourage tous les jours par Skype où nous échangeons sur divers sujets tels que mon enfance, son enfance, son passé militaire et professionnel, nos lectures, la création de l’univers et l’existence de Dieu.
Je supporte remarquablement bien ma chimiothérapie malgré la longueur du traitement qui m’est administré (23 séances de 2 injections au lieu de 6 séances habituellement). Une nuit, je ne saurai dire vers quelle heure, je fais l’expérience d’un songe : il ne s’agit pas d’un rêve, je ne dors pas, je sais exactement être dans notre chambre, mais je ne suis pas non plus à proprement parlé réveillé. Une source de lumière apparait en arrière de mon cerveau en haut à droite. Très intense, elle ne diffuse cependant que modestement vers l’avant, éclairant légèrement, dans une pénombre brune ambiante, ce qui ressemble à un tuyau ou plus exactement à un siphon obstrué par un amas de feuilles d’automne mouillées. La présence de la lumière me procure un véritable émerveillement intérieur, difficile à décrire. Le mot SION m’apparait : je n’y vois tout d’abord qu’une succession de lettres qui n’évoque rien pour moi. La lumière tend alors à s’estomper. Je prononce sans dire mots « reste encore s’il te plait ». La lumière s’intensifie alors de nouveau. Je prononce toujours sans dire mots « merci », soulagé. Je cherche toujours un sens à cette succession de lettres : S, I, O, N. Le mot SION disparait. Le mot IONS apparait, qui lui, de par ma formation biomédicale, me parle immédiatement (je suis, dans le civil, professeur de neurosciences à la faculté de médecine de Caen et comme mentionné plus haut, officier de réserve à l’institut de recherche biomédicale du service de santé des armées). Puis, les lettres se replacent dans l’ordre où elles sont apparues. Je reconnais alors le mot SION, qui désigne un lieu (épitre aux Hébreux 12,22) ou un peuple (Esaïe 51,16) qui bénéficie de la présence et de la bénédiction de Dieu. Puis, le mot SION disparait, et le SOIN apparait. Je m’endors.
Quelque jours plus tard je rencontre le cancérologue qui me suit et lui propose de me prescrire de façon journalière un inhibiteur de la pompe à protons, autrement dit un inhibiteur d’IONS ; ce traitement m’était jusqu’alors prescrit au besoin lorsque je ressentais des brûlures de l’œsophage. Il convient que c’est important et double la dose. Les examens biologiques et d’imagerie réalisés durant mon traitement de chimiothérapie montrent une diminution progressive des marqueurs tumoraux de plus de 26000 unités en janvier 2016 à 7 unités fin août 2016 (la normale se situe entre 0 à 30 unités), une disparition totale de la tumeur primaire de l’ampoule de Vater ainsi qu’une diminution des métastases au foie en mai 2016, et une disparition totale de ces mêmes métastases en août 2016. Mon cancérologue nous dit – Hélène est présente – avec retenue « on peut commencer à parler de rémission ». J’apprendrai quelque temps plus tard par le pharmacien hospitalier qui suit mon dossier que le cancérologue n’a jamais vu pareille évolution sur des cancers à adénocarcinomes en 25 années de pratique. Les examens biologiques et d’imagerie de début novembre 2016 confirment ceux d’août 2016. Ma chimiothérapie est allégée : je passe d’une bi‑thérapie intraveineuse à une monothérapie par voie orale à domicile. Un autre examen biologique, fin décembre 2016, établit un nouveau bilan des marqueurs tumoraux à des valeurs normales.
Dès mai 2016, Jean-Jacques me convie à une réunion avec des membres du cénacle Abba. J’accepte. J’ai en mémoire un des thèmes que l’on discute dans les groupes alpha : Dieu peut-il guérir aujourd’hui ? La soirée est chaleureuse. Je témoigne de mon songe et de mon vécu, en particulier du sentiment de tristesse que je ressens pour mes compagnons de lutte. Pourquoi moi ? Une des personnes présentes me dit avec justesse sans que j’en ai auparavant fait moi-même l’analyse : « en t’écoutant, trois mots me viennent à l’esprit : résignation, au sens m’explique-t-elle que les choses étant ainsi je les accepte sans colère, et abandon et confiance en la volonté de Dieu ». Une autre m’invite à accepter la régression de mon cancer sans tristesse, car me dit-elle les autres malades seraient, s’ils en étaient informés, heureux pour moi. Je connais effectivement ce sentiment pour en avoir fait l’expérience à propos d’un autre patient, dont le pronostic vital était bon, que j’ai croisé lors de la dernière de ses 6 séances de chimiothérapie (la première pour moi) ; elle m’invite à témoigner par écrit.
Ma vie a changée, pas du tout au tout, mais beaucoup. J’ai gagné en sérénité (même s’il reste énormément à faire) et mes priorités se sont réorganisées. La première demeure de garder ma famille unie ; la deuxième est modestement d’apporter de l’aide là où nous le pouvons (achat de cadeaux de Noël pour les orphelinats, préparation et distribution de repas de Noël pour des associations caritatives, participation à la vie paroissiale). Bien que toujours très actif sur le plan professionnel, mon travail n’a plus sur moi le même pouvoir et sa capacité à me stresser est sans commune avec ce qu’elle fut. Mes prières sont toujours les mêmes (je me souviens de la très grande majorité des visages de mes compagnons de lutte). Je demande aussi au Christ de m’éclairer sur la façon de témoigner de sa présence parmi nous et en particulier de sa présence à mes côtés, et ces quelques lignes en sont, je l’espère, la première expression. Tout est-il parfait ? Non, bien sûr et le doute m’assaille plus souvent que je ne le veux. Il reflète peut-être une faille dans ma Foi mais, sans exclusion de cette possibilité, très probablement un état de stress post-traumatique au même titre que tous ceux – victimes de guerre, d’attentat, et d’agressions violentes – qui vivent un jour de façon « prématurée » l’expérience de croire la fin de leur existence terrestre imminente. Une quasi certitude cependant, j’aurais peur de vivre une vie terrestre si je ne croyais pas au message du Christ.
Jacques.